
Chaque année, des centaines de milliers d’enfants naissent atteints de drépanocytose, une maladie génétique du sang pourtant évitable grâce au dépistage. Dr Magnang, spécialiste en hématologie et directeur du Centre national de recherche et de soins aux drépanocytaires (CNRSD), nous éclaire sur ses causes, ses symptômes, son mode de transmission et l’importance du dépistage de cette maladie encore méconnue du grand public.
Savoir News : Qu’est-ce que la drépanocytose et à qui s’adresse le dépistage ?
Dr Magnang Hèzouwè : La drépanocytose est une maladie génétique qui affecte les globules rouges, responsables du transport de l’oxygène dans le sang. Chez les personnes atteintes, une mutation de la protéine principale de l’hémoglobine (l’hémoglobine A) provoque la formation d’une forme anormale appelée hémoglobine S. Cette anomalie rend les globules rouges rigides et déformés, ce qui entraîne des complications telles que des douleurs osseuses intenses et une anémie chronique.
Le dépistage concerne toute la population. En effet, seules les personnes ayant hérité du gène S de ses deux parents (génotype SS) développent la maladie. Celles qui n’en possèdent qu’une seule copie (génotype AS), appelées porteurs sains, ne présentent pas de symptômes, mais peuvent transmettre la maladie à leurs enfants. D’où l’importance pour chacun de connaître son statut afin de faire des choix éclairés, notamment avant d’avoir des enfants.
Pourquoi cette maladie est-elle encore méconnue du grand public ?
La méconnaissance s’explique en grande partie par l’absence de symptômes chez les porteurs sains. Ces derniers, ne se sentant pas malades, n’ont souvent aucune conscience de leur statut génétique. Le plus souvent, la maladie est découverte lors de la naissance d’un enfant malade, ce qui provoque un choc pour les parents. C’est seulement à ce moment-là que beaucoup réalisent qu’ils sont porteurs du gène. Cette méconnaissance souligne le besoin urgent d’une meilleure sensibilisation.
Quels sont les symptômes les plus fréquents chez les personnes atteintes ?
Le principal symptôme est la douleur osseuse, souvent très intense, appelée « crise vaso-occlusive ». Elle est présente dans toutes les formes de la maladie. L’anémie est également fréquente, surtout chez les personnes atteintes de la forme SS ou Sβ⁰-thalassémique, où elle est chronique et sévère. En revanche, dans la forme SC, l’anémie est généralement modérée, voire absente.
Les infections sont également plus fréquentes chez les drépanocytaires, en raison d’un système immunitaire affaibli. C’est pourquoi la vaccination contre des maladies telles que la pneumonie, la méningite ou d’autres infections bactériennes est fortement recommandée.
Comment se transmet cette maladie génétique ?
La drépanocytose est une maladie héréditaire, transmise par les gènes des deux parents. Chaque individu hérite d’un gène de chaque parent. Une personne avec deux gènes normaux est AA et n’est pas concernée. Une personne AS possède un gène sain et un gène muté, elle est une porteuse saine. Une personne SS a hérité du gène muté de chacun de ses parents et développe donc la maladie.
Il existe aussi d’autres combinaisons comme SC, qui associe un gène S et un autre gène muté (C), également responsable de symptômes. Le risque de transmettre la maladie dépend donc du statut génétique des deux partenaires. Par exemple :
- AA : sujet sain
- AS : porteur sain, sans symptômes
- SS ou SC : sujet malade
À quel âge apparaissent généralement les premiers signes ?
Les premiers symptômes varient d’un individu à l’autre. En général, les enfants atteints de la forme SS commencent à manifester les signes de la maladie dès l’âge de 6 mois. Pour les formes SC, les symptômes peuvent apparaître entre 4 mois et 18 mois. Cette variabilité s’explique par des facteurs génétiques et environnementaux qui modulent l’expression de la maladie.
Quelle est la différence entre un porteur sain et un malade ?
Un porteur sain (AS) possède un gène sain et un gène muté. Il ne présente aucun symptôme car le gène sain compense l’effet du gène muté. En revanche, une personne malade (SS ou SC) a hérité de deux gènes anormaux. Elle développe les symptômes de la maladie. Les porteurs sains peuvent transmettre le gène à leur descendance, c’est pourquoi leur statut doit être connu, notamment avant toute union ou projet d’enfant.
Combien de personnes sont atteintes dans le monde et au Togo ?
On estime que chaque année, entre 300 000 et 500 000 enfants naissent avec la drépanocytose dans le monde, dont 80 % en Afrique. C’est une maladie particulièrement fréquente chez les populations d’origine africaine.
Au Togo, environ 12 à 16 % de la population est porteuse du trait drépanocytaire (AS), et les anciennes études estimaient à 3,9 % la proportion de personnes atteintes des formes majeures. De nouvelles recherches suggèrent que ce chiffre se situe plutôt autour de 2 %.
Quel est le coût moyen annuel du traitement pour un patient ?
Une simple crise vaso-occlusive, traitée pendant trois jours, coûte environ 60 000 FCFA dans notre centre. Dans les structures privées, ce coût est encore plus élevé. En comparaison, un test de dépistage coûte seulement 5 000 FCFA. Il est donc bien plus rentable, tant sur le plan humain que financier, de se faire dépister en amont.
Les complications infectieuses ou autres hospitalisations peuvent faire grimper les frais médicaux à plus de 100 000 ou 200 000 FCFA. La prévention reste donc essentielle.
Comment la situation a-t-elle évolué ces dix dernières années ?
Le nombre de patients ne cesse d’augmenter. Cela signifie que nos actions de sensibilisation doivent être intensifiées. Tant que les gens continuent à avoir des enfants sans connaître leur statut génétique, cela signifie que le message n’est pas suffisamment passé. Il est crucial de renforcer l’information, afin que chacun comprenne qu’il est possible d’éviter cette maladie à ses enfants.
À quel âge peut-on faire le test ? Est-il systématique à la naissance ?
Idéalement, le dépistage devrait se faire dès la naissance, surtout en Afrique où la maladie est très répandue. Si cela n’a pas été fait dans l’enfance, il est fortement recommandé de le faire à l’âge adulte, notamment avant le mariage ou tout projet de parentalité. Connaître son statut permet de faire des choix éclairés et responsables.
Quel message souhaitez-vous adresser à la population ?
Le plus important, c’est de comprendre que la drépanocytose est une maladie évitable. Il suffit de se faire dépister. Un dépistage précoce permet de mieux accompagner les patients et d’anticiper les complications. Il permet aussi d’éviter que la maladie ne se transmette aux enfants. Il est de notre responsabilité collective de faire connaître cette maladie, de briser l’ignorance et de protéger les générations futures. FIN
Interview réalisée par Bernadette AYIBE