Pitang Tchalla : « Nous disons qu’il faut initier un nouveau dossier. Si la HAAC ne prend pas cette initiative, de quel droit sanctionnerait-on les autres violations de cette loi ».

La Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) a retiré le 6 février dernier, les fréquences à La Chaîne du Futur (LCF) et de la radio City FM pour n’avoir pas rempli les formalités préalables d’autorisation et d’installation. Décision qui fait grands bruits à tous les niveaux (médias, société civile, partis politiques etc…). Dans une interview accordée au Forum de la Semaine et Le Médium, le président de la HAAC Pitang Tchalla, revient largement sur le dossier.

Question : Monsieur le Président, vous venez de prendre une décision difficile en retirant les fréquences à la télévision Chaîne du Futur (LCF) et à la radio City Fm qui émettent depuis une dizaine d’années. Pour certains c’est un acte courageux qui vient mettre fin à une situation d’illégalité dans laquelle se trouvent ces deux médias et pour d’autres c’est un acte complètement illégal. Monsieur le Président, qu’est-ce qui justifie cette décision aussi lourde de conséquences qui continue de faire couler beaucoup d’encre et de salive avec des condamnations venant du monde de la presse et de la société civile tant sur le plan national qu’international?

Réponse : Courage ? Ce n’est pas une une question de courage. C’est une question de régulation. L’article 130, 3ème alinéa de la constitution stipule que « la HAAC est compétente pour donner l’autorisation d’installation de nouvelles chaînes de télévision et de radios privées ». Alors si un organe émet sans autorisation de la HAAC, c’est cette dernière qui a compétence à arrêter l’illégalité. Je réaffirme que ces deux chaines n’ont pas reçu d’autorisation de la HAAC et comme tel, existaient illégalement. L’article 24 de la loi organique spécifie que la HAAC est compétente pour accorder les autorisations d’installation et d’exploitation des chaînes de radios et de télévisions. Dans le cas d’espèce, il est manifeste que les les chaînes dont vous parlez ne sont pas en règle vis-à-vis de la Haute Autorité. Nous sommes dans un Etat de droit et qui dit Etat de droit dit exigences. La HAAC prend donc ses responsabilités dans le respect de ses prérogatives. Parfois le remède fait plus mal que la maladie.

On nous a brandi une décision d’un prédécesseur, mais il n’y a aucun dossier qui justifie cette démarche. Peut-on aujourd’hui sous prétextes qu’on a déposé des dossiers prétendre que la situation est normalisée ? Nous disons non et disons qu’il faut initier un nouveau dossier. Si la HAAC ne prend pas cette initiative, de quel droit sanctionnerait-on les autres violations de cette loi.

Certains n’hésitent pas à parler avec légèreté de la décision de la HAAC comme une entrave à la liberté d’expression, oubliant volontairement que près d’une dizaine de télévisions privées diffusent librement au Togo, alors qu’il n’y a que quelques mois que la Côte d’ivoire a accepté l’ouverture de son espace audiovisuel par un cahier de charges très contraignant autorisant moins de cinq projets de télévisions privées. Donc en matière d’exercice et de garantie de la liberté d’expression, le Togo est bien en avance sur la classe. Le code de la presse et le paysage médiatique national en font foi.

On signale par ailleurs que plusieurs dossiers auraient disparu à la HAAC…

Faux. En 2012, il était question de renouvellement de convention obligatoire pour les médias audiovisuels. C’est à cette occasion que la HAAC s’est rendue compte qu’elle ne peut pas renouveler, car il n’y a pas de dossier. On a argué en son temps que le Président de la République en est le propriétaire et on ne pouvait pas aller lui demander les dossiers. Qu’à cela ne tienne.

Selon la loi, le chef de l’Etat ne peut pas avoir une chaîne. Je confirme qu’elle est illégale. Et comme il n’y a aucun dossier, il n’y a pas de traçabilité. Cette argumentation signifierait qu’il y a eu violation de la réglementation en ce qui concerne les propriétaires. Et nous disons donc que c’est un nouveau dossier qu’il faut reprendre tout simplement.

D’aucuns soutiennent que les deux organes avaient participé à l’appel d’offres de 2007. Les responsables de LCF ont même exhibé une quittance d’achat du dossier d’appel d’offres…

C’est faux, puisque nous avons la liste des médias qui y avaient participé. On va jusqu’à faire l’amalgame, toujours dans le souci de tromper son monde que groupe sud média, média sud, Lcf, radio sud etc c’est la même chose. Je ne suis pas un spécialiste de la question mais tous ces médias ne figurent pas sur la liste pour l’attribution des fréquences en 2007.

Comment justifier donc les documents que les responsables de LCF et City Fm brandissent ?

Je ne vais pas douter de leur authenticité. Mais nous à la HAAC nous sommes formels, il n’y a aucun dossier.

Nous avons appris de sources proches du dossier qu’en 2015, les responsables du Groupe Sud Media ont déposé un dossier qui serait au point et qu’ils auraient payé les frais y afférents?

Je peux vous dire qu’avant même qu’une demande de dossier ne soit acceptée pour étude, il y a le payement de « cent mille francs pour frais de dépôt de dossier de demande d’autorisation d’installation et d’exploitation de télévision », frais payés le 22 mai 2015. Cela veut dire que les deux médias existaient illégalement depuis 2007. Il n’y a aucun dossier relatif à la création de ces deux chaines. Ça veut dire que c’est un nouveau processus qui doit démarrer, ce que monsieur Abaki n’accepte pas.

Monsieur le Président, l’institution que vous présidez a été un tout petit peu secoué par cette décision. Un des membres a contesté la décision et va plus loin en saisissant la Cour Suprême. Quel sera le sort que la Cour suprême va réserver à votre décision?

Les divergences au sein de la mandature sont normales et à l’honneur de ceux qui ont fait confiance à cette équipe en tenant compte du pluralisme d’opinions. Mais après les débats parfois houleux, une décision est prise et elle engage toute la mandature. Généralement, en tant que président, je privilégie le consensus. Dans le cas d’espèce, nous avons appliqué la procédure et les neuf membres ont participé aux débats et personne n’a boycotté la décision finale. Les chantages, intimidations et menaces actuelles n’y peuvent rien, les membres ayant décidé en accord avec leurs intimes convictions. L’affaire étant pendante devant la Cour Suprême, nous ne pouvons pas nous étendre là-dessus.

Et au sein de la HAAC, quelle est désormais l’ambiance ? Est-elle désormais divisée, l’institution que vous présidez ?

Il n’y a pas de crise interne à la HAAC; elle fonctionne normalement et je félicite les collègues ainsi que le personnel pour la sérénité, la sagesse et l’esprit d’équipe dont ils font preuve. La seule déception, c’est de voir  » les secrets dehors ». Mais nous faisons confiance à la Cour Suprême et nous constituons plus que jamais une équipe décidée à remplir sa mission.

Quant aux condamnations, nous les comprenons, car il y a une campagne très forte pour faire accepter le fait accompli, auquel cas, se serait trahir la mission de la HAAC.

Justement, certains observateurs parlent du droit acquis et qu’on devrait s’employer plutôt à légaliser la situation ainsi créée. Ne faut-il pas voir nous cet angle, cet épineux dossier?

Est-ce parce qu’une situation illégale aurait perduré pendant longtemps qu’elle devient légale ? Est-ce que c’est parce qu’on a seriné un mensonge pendant longtemps qu’il deviendrait vérité ? Nous disons non et soutenons qu’il faut mettre un terme à cette situation et permettre qu’elle devienne normale et régulière.

Je vous remercie.