Présidentielle au Bénin/Duel Zinsou-Talon : Quand la « rupture » se précise (PAPIER D’ANGLE)

Plus de 4,7 millions de béninois étaient aux urnes le 6 mars dernier pour élire parmi les 33 candidats en lice, le successeur du président Boni Yayi, qui boucle 10 années à la tête du pays. Elu en 2006, il a été réélu en 2011. Il remettra les clés du Palais de la Marina au nouveau locataire le 6 avril prochain.

Qui de l’actuel Premier ministre Lionel Zinsou et du richissime homme d’affaires Patrice Talon, arrivés en tête de ce scrutin — selon les résultats de la Cour Constitutionnelle — succédera à M.Yayi ? Quelles sont les grandes leçons du premier tour de ce scrutin ? Les enjeux et pronostics du second tour ?

Selon les résultats publiés dimanche dernier par la Cour constitutionnelle (seule institution habilitée à donner les résultats officiels), l’actuel Premier ministre et candidat des Forces Cauris pour un Bénin émergent (Fcbe, la coalition au pouvoir) Lionel Alain Louis Zinsou-Derlin arrive en tête avec 858.080 des voix contre 746.528 pour le richissime homme d’affaires Patrice Athanase Guillaume Talon.

Viennent ensuite, l’autre homme d’affaires Sébastien Germain Ajavon (693.084 voix), l’ancien président de la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD) Abdoulaye Bio Tchané (262.389), l’ancien Premier ministre Pascal Irénée Koupaki (177.251) et le général Robert Gbian (46.634).

Ces résultats confirment les « grandes tendances » publiées le 9 mars par la Commission Électorale Nationale Autonome (CENA), sauf de petits changements dans les suffrages obtenus.

Bon nombre de béninois se demandaient si les résultats de la Cour n’allaient pas chambouler les chiffres de la Commission électorale, les votes des béninois de l’extérieur (environ 44.000), n’ayant pas encore été pris en compte.

Dans ses tendances, la CENA avait crédité M.Zinsou de 856.218 voix contre 746.798 pour M.Talon.

Les jeux sont maintenant ouverts et place au second tour, prévu le 20 mars prochain. Selon l’article 45 de la constitution béninoise, « le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés. Si celle-ci n’est pas obtenue au premier tour du scrutin, il est procédé dans un délai de 15 jours (après le premier tour) à un second tour ».

En cas de désistement de l’un ou de l’autre des deux candidats, le suivant se présente dans l’ordre de leur classement après le premier scrutin. Est déclaré élu au second tour, le candidat ayant recueilli la majorité relative des suffrages exprimés.

« Zinsou-Talon : c’est vraiment le grand duel. Le peuple a parlé à travers les urnes, car les chiffrent montrent clairement que la majorité des béninois veut rompre avec le système Boni Yayi », a commenté Jean Marie Sedolo, directeur de publication de « la Presse du Jour », l’un des grands quotidiens au Bénin.

Lionel Zinsou en mauvaise posture!

Porté par les Fcbe (la grande coalition au pouvoir) et soutenu par les deux poids lourds de l’opposition, la Renaissance du Bénin (RB) du Maire de Cotonou Lehady Soglo et le Parti du Renouveau Démocratique (PRD) de Me Adrien Houngbédji, actuel président du Parlement, Lionel Zinsou gagnait même au premier tour sur papier, selon certains observateurs de la scène politique béninoise.

Ce dernier avait la faveur de tous les pronostics. Pire des cas, un meilleur score pour le second tour.

Force est de constater que M.Zinsou n’a pu décrocher la majorité absolue, mais est fortement talonné par son challenger qu’il n’a dépassé que de 111.552 voix.

Pour des observateurs avertis, la première grande leçon à tirer de ce premier tour est la détermination des béninois à tourner dos au système en place : la rupture.

Le président Boni Yayi a beaucoup tangué ces trois dernières années: trop d’improvisation dans les prises de décisions. Beaucoup de ses anciens collaborateurs lui reprochent de prendre des décisions à l’improviste.

« Pour certains sujets très importants, M.Yayi ne consulte personne, même pas ses conseillers. Il ne sert à rien de nommer des collaborateurs, si on ne veut pas travailler avec eux », a critiqué un ancien collaborateur du président Yayi, candidat au scrutin présidentiel.

Autre chose, l’actuel locataire de la Marina a parfois d’énormes difficultés à résoudre rapidement certains problèmes sur le plan social, surtout ceux liés aux revendications des enseignants et agents du secteur de la santé. Ce qui a entraîné, plusieurs semaines, voire des mois de grève.

Par ailleurs, l’administration béninoise est minée par la corruption, avec l’organisation des concours souvent contestés notamment le récent concours des douaniers etc… A tout cela s’ajoute l’épineux problème des délestages. Le Bénin est frappé de plein fouet par la crise énergétique, avec des coupures intempestives du courant électrique.

Dans ce domaine, les promesses faites aux béninois, n’ont pas été tenues.
« Une lecture minutieuse des chiffres publiés par la CENA et la Cour constitutionnelle, nous montre clairement que les béninois sont fatigués du système qui les dirige à la tête du pays. Durant son premier quinquennat, M.Yayi a vraiment donné espoir aux béninois. Mais les choses ont commencé à tourner mal, au milieu de la deuxième année de son dernier quinquennat. C’est un vote sanction contre son +dauphin+ et Boni Yayi doit tirer les leçons de ce scrutin », a confié Abou Rafiou, analyste politique.

« Actuellement, Lionel Zinsou est dans une situation délicate, car les chiffres sont très serrés au sommet du classement. Situation qui donne plus de poids au faiseur de roi, c’est-à-dire le candidat Sébastien Ajavon arrivé en troisième position », a confié Abou Rafiou, analyste politique.

Patrice Talon, favori pour le second tour

Sébastien Germain Ajavon, arrivé en troisième position avec 693.084 voix, a officiellement annoncé le 12 mars, lors d’une conférence dans un grand hôtel de la capitale économique béninoise, son soutien à M. Talon.

« Quoi qu’il en soit, nous sommes avec M. Patrice Talon et d’autres candidats dans la coalition de rupture. Nous avons pris l’engagement mutuel de soutenir celui d’entre nous qui sera présent au second tour. Quelque soit l’ordre d’arrivée, cet engagement sera respecté », avait-il martelé.

L’homme ne changera pas de décision. Il appellera à coup sûr ses partisans à porter leur choix sur le candidat Talon.

Même son de cloche chez Abdoulaye Bio Tchané et Irénée Pascal Koupaki, arrivés en quatrième et cinquième position.

« Le plus important, c’est d’avoir compris que nous devons prendre un autre chemin, celui de la rupture d’avec le système de gouvernance qui décrédibilise l’action publique au Bénin, et qui crée les conditions favorables à la corruption, à l’impunité et à l’injustice. Le pouvoir pour le pouvoir ne m’intéresse pas. Mais le pouvoir pour le service du peuple, Oui », a affirmé sur sa page facebook M.Koupaki.

Par ailleurs 23 autres candidats malheureux ont appelé leurs militants et sympathisants à porter leur choix sur le candidat de la « rupture ».

Sur papier, M.Talon part favori pour succéder à son ennemi public N°1. L’histoire va-t-elle encore se répéter en 2016 au Bénin où les partis politiques n’ont jamais gagné la présidentielle depuis l’avènement de la démocratie en 1990 ?: Nicéphore Soglo (1991, sans parti politique à l’époque), Mathieu Kérékou (1996 et 2001) et Boni Yayi (2006 et 2011).

M.Talon est l’un des acteurs les plus puissants de la vie économique béninoise pour avoir fait fortune dans le coton. Longtemps très proche de Boni Yayi, il a même financé ces deux dernières campagnes électorales.

Mais les choses finiront par tourner mal entre les deux +amis+, le richissime homme d’affaires, accusé d’être le cerveau d’une tentative d’empoisonnement du président en 2012, puis d’être impliqué dans une tentative d’attentat à la sûreté de l’Etat en février 2013.

Ces différents dossiers abondamment relayés par la presse (nationale et internationale) avaient agité les milieux judiciaire et politique durant des mois.
Sur le plan politique, l’opposition a toujours émis des doutes sur ce complot de tentative d’empoisonnement qu’elle a souvent qualifié de « mystérieux ».
En mai 2014, le président Boni Yayi a décidé d’accorder son « pardon » à M.Talon, d’où son retour au bercail après deux années d’exil à Paris. FIN

Par Ambroisine MEMEDE (Pour Focus Infos)