Tourisme : face au gouffre financier, l’hôtellerie en Afrique tente de se réinventer

A Casablanca, les professionnels contraints au télétravail -pour le respect des mesures visant à limiter la propagation du coronavirus- peuvent désormais réserver une chambre d’hôtel ou tout autre espace aménagé pour le coworking au sein de l’établissement pendant la journée, la semaine ou le mois.

Généralement fruit de partenariats entre groupes hôteliers et société de coworking, comme récemment entre Onomo et GO4Work au Maroc, cette tendance mondiale du télétravail à l’hôtel -qui a émergé ces derniers mois en Amérique, en Europe et en Asie au gré de la crise- commence donc à s’exporter en Afrique. Pour les opérateurs, le leitmotiv est le même : continuer à faire du chiffre, malgré la conjoncture.
Cette courbe des revenus à redresser

Un peu partout sur le continent, les enseignes hôtelières revoient leurs stratégies. Certaines mettent l’accent sur la restauration, créant de nouveaux concepts et s’adonnant entre autres à la livraison à domicile.

En Afrique de l’Est et australe en particulier, les hôtels qui proposaient des activités de safaris ont commencé il y a quelques mois à proposer -en partenariat avec des parcs- des « safaris virtuels » aux amateurs du monde entier.

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«On se réinvente pour tenir le coup, car les performances sont vraiment en deçà de ce qu’on espérait. C’est terrible et c’est peu de le dire », déclare à La Tribune Afrique un stratège dans le secteur qui requiert l’anonymat.

Au début de la crise en effet, la majorité des opérateurs en Afrique pariaient sur une reprise vers le milieu de l’été, après un deuxième trimestre dominé par le confinement.

Cependant, le prolongement de la fermeture des frontières aériennes de certaines destinations a été fort préjudiciable. Ainsi au troisième trimestre, les taux d’occupation des hôtels en Afrique étaient de 16,9% en juillet, 25% en août et 25,6% en septembre, soit des chutes respectives de 72,9%, 60,5% et 61,2%, comparé à la même période en 2019, selon STR, fournisseur de données sur le marché de l’industrie hôtelière dans le monde.

Le revenu par chambre disponible (RevPAR) s’est quant à lui établi à 15,91 dollars, 23,91 dollars et 25,57 dollars sur les trois mois, soit des baisses respectives de 75,8%, 65,1% et 60,2% par rapport à la même période l’an dernier.

Ces données rapportées à l’ensemble des activités des hôtels, les pertes se chiffrent en centaines de milliers de dollars pour les opérateurs, voire en millions de dollars pour les grands groupes qui, habituellement, se frottent les mains lors de la saison estivale. Selon les experts, ces performances sont des plus faibles enregistrées par le secteur depuis que le tourisme africain connait son essor.
Dealer avec les mutations du tourisme d’affaires

Dans des capitales phares comme Marrakech, Kigali, Johannesburg, Cape Town, Abidjan, Dakar, Addis Abeba…, les chaines hôtelières qui misaient sur la montée en puissance du tourisme d’affaires sont encore plus mal. En cause, l’annulation d’importants événements qui rassemblent annuellement des milliers de professionnels et personnalités et qui sont généralement gages d’une année financière réussie, surtout pour les hôtels les plus prisés.

« Avant la crise, les voyageurs internationaux représentaient 2/3 du shift de nombreux hôtels. Aujourd’hui, ils sont quasiment inexistants. C’est un gros manque à gagner », nous explique ce stratège au sein d’un groupe implanté à travers l’Afrique.

Il y a donc de quoi trouver des parades pour s’assurer les investissements. « Cette crise renforce les difficultés auxquelles étaient confrontés les secteurs de l’hôtellerie et du tourisme en Afrique. […] Le manque de financements était déjà l’un des plus importants défis pour le secteur avant la crise sanitaire », expliquait dans un entretien avec LTA Olivier Granet, CEO de Kasada Capital Management, estimant qu’« aujourd’hui plus que jamais », les hôteliers devront tout faire pour obtenir des lignes de financement ou intéresser les investisseurs privés qui ont, eux aussi, leur lot de contraintes.

Et sur la question du tourisme d’affaires, Sébastien Bazin, PDG du groupe Accor se veut réaliste. « On va perdre une partie du tourisme d’affaires. Tout ce qui se fait sur les plateformes digitales va empêcher certaines personnes [de se rendre physiquement aux événements] », déclarait-il sur TF1 le 30 octobre dernier.

Le patron du premier groupe hôtelier européen et présent dans 20 pays africains s’attend à ce que les chefs d’entreprises priorisent les webinaires à la présence physique de leurs collaborateurs aux événements, sauf s’il y a « vraiment » moyen d’y faire du business.

Toutes ces réalités et surtout le besoin d’anticiper sont à l’origine du partenariat d’Accor avec la startup Wojo pour l’installation de 1 200 espaces de coworking dans les hôtels du groupe français en Europe. Rien ne filtre pour l’instant quant à l’extension de ce service à l’Afrique, mais il est clair que si les initiatives actuelles dans des mégapoles comme Casablanca suscitent l’engouement des professionnels, la tendance pourrait bien se généraliser, appuyée surtout par les réflexions ça-et-là autour de la réglementation du télétravail, notamment au nord du continent.
Clin d’œil gouvernemental

Pour l’instant, certains pays dont l’économie doit partiellement son rayonnement au tourisme, prennent des mesures pour accélérer la reprise et alléger la charge des opérateurs hôteliers.

A titre d’exemple, l’île Maurice, où le secteur touristique représente 14% du PIB, lance un visa spécial d’un an destiné aux télétravailleurs du monde entier en quête d’un cadre ludique. Après avoir gardé les frontières fermées pendant plusieurs mois, le gouvernement procède finalement depuis octobre à une réouverture progressive, permettant le trafic aérien commercial international.

En Egypte où le tourisme représente 12% du PIB et 9,5% des emplois, les hôtels sont exemptés par le gouvernement du paiement des frais d’électricité, d’eau et de gaz jusqu’au 31 décembre prochain. Leurs dettes auprès des banques sont, en outre, rééchelonnées sans remboursement dû jusqu’au 1er janvier 2021.
L’aérien, ce catalyseur dont tous les hôteliers attendent le redémarrage

En dépit de cette sombre période, les groupes hôteliers sur le continent se montrent plutôt confiants pour l’avenir comme prévoyait d’ailleurs il y a quelques mois Elcia Grandcourt, directrice du département Afrique de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) qui a lancé un programme d’accompagnement du secteur dont bénéficient certains pays africains.

« Le tourisme africain se remettra de la crise liée au Covid-19 », affirmait-elle dans un entretien avec LTA.

C’est dans cette logique que 68% des 219 projets hôteliers en Afrique subsaharienne se sont poursuivis malgré la crise, selon une enquête de HTI Consulting.

Il y a eu également plusieurs annonces de développement sur le continent comme en Afrique du Sud où Radisson Blu vient de lancer sa quatrième marque ; Marriott qui nomme un nouveau président pour ses affaires africaines ou encore l’hôtelier de luxe Nobu Hospitality qui mettra bientôt en service à Marrakech son premier hôtel africain.

Mais au-delà de cet optimisme affiché, les opérateurs hôteliers ont conscience que leur activité reste tributaire de l’aérien. Ce maillon fort du tourisme également agenouillé par la crise avec des pertes qui pourraient dépasser les 40 milliards de dollars, d’après l’Association internationale du transport aérien.

Toutes les compagnies stars du continent -d’Ethiopian Airlines à Royal Air Maroc- sont en crise et une reprise à plein régime de l’industrie n’est pas envisagée sur le moyen terme. Or, « tant que le transport aérien ne reprendra pas à au moins 40%, les hôtels continueront d’enregistrer des pertes entre 50 et 60%, voire plus », estime notre source dans le secteur.

Ristel Tchounand