Tchacondoh Ouro-Bossi : « Depuis longtemps, la politique a pris place de la coutume et a mis en difficulté la chefferie traditionnelle, c’est dommage »

Plusieurs localités du Togo sont minées ces dernières années par des conflits liés à la chefferie traditionnelle. On assiste parfois à de violents affrontements avec des pertes en vies humaines et d’importants dégâts.

Comment devient-on chef traditionnel ? Les textes régissant la chefferie traditionnelle au Togo sont-ils vraiment appliqués? Ces conflits sont-ils le plus souvent le fait des politiques ? etc… autant de questions posées à M.Tchacondoh Ouro-Bossi, président du Centre d’Observation et de Promotion de l’Etat de Droit (COPED). Lisez.

Savoir News: Qui peut-on appeler chef traditionnel ?

Tchacondoh Ouro-Bossi: Est chef traditionnel, une personnalité qui répond à certaines caractéristiques ou qualités avérées reconnues par sa communauté. On peut citer entre autres:

 Maîtrise des valeurs coutumières ;

 Maîtrise de la culture traditionnelle ;

 Maîtrise de l’histoire de la communauté ;

 Animer de l’esprit de la recherche du bien commun.

 Il doit faire preuve d’honnêteté ; de moralité élevée ; du sens de rassembleur.

Bref une personnalité exemplaire pouvant servir de référence et qui fait preuve d’un courage lui permettant de défendre les intérêts collectifs. A ce titre, le chef est perçu dans sa communauté comme un trait d’union entre les morts et les vivants. Il est chargé de parler aux ancêtres, consulter les mânes pour la protection de la communauté.

C’est ainsi qu’on l’appelle gardien des us et coutumes du milieu.
Il ne doit pas confondre les valeurs des religions importées (Christianisme et Islam) dans l’exercice de ses fonctions.

Q: Comment devient-on chef traditionnel ?

R: Pour être chef traditionnel, on doit remplir les conditions d’éligibilité définies par la communauté. D’abord, être de la ligné des chefs. Et cette condition diffère d’une localité à une autre. Dans certaines localités, c’est par filiation directe, dans d’autres appartenances, d’un clan ou être descendant des paires fondateurs de la localité.

Le collège de désignation ou le conseil royal se réunit et sollicite les intentions. Toutes les intentions sont soumises à l’appréciation des ancêtres et des oracles pour se prononcer sur l’incidence d’un choix sur le mieux être de la communauté (santé, longévité, progrès, réussite et développement).

Ainsi, celui qui répond aux besoins de la communauté est retenu et soumis aux cérémonies initiatives (protection et mise en contact avec les ancêtres).

Après ces cérémonies, on soumet le choix à l’appréciation de la communauté en vue de rendre public le nom du chef. C’est suite à cet exercice, qu’on apporte l’information à l’autorité administrative et politique qui prend un acte de reconnaissance du choix opéré par la communauté. Ainsi, il devient l’interlocuteur de la communauté auprès de l’administration.

Q: Nous assistons ces dernières années à une recrudescence des conflits liés à la chefferie traditionnelle. Comment expliquez-vous cette situation ?

R : Si l’article 143 de la constitution de la IV république réaffirme la reconnaissance de la chefferie traditionnelle, il a le mérite également de souligner les conditions de désignation du chef ceci pour éviter les conflits.
« L’Etat togolais reconnaît la chefferie traditionnelle, gardienne des Us et Coutumes. La désignation et l’intronisation du chef traditionnel obéissent aux Us et Coutumes de la localité ». Cette disposition constitutionnelle devrait épargner à la chefferie traditionnelle, les maux dont elle souffre aujourd’hui. Malheureusement on constate que :
• La politique interfère dans le choix du chef en privilégiant le militantisme et la force comme critère de choix du chef ;
• L’interventionnisme des élites et cadres du milieu aussi permet de vicier la procédure, car chacun voudrait que ça soit son parent, même s’il n’est pas héritier du trône ;
• L’achat de conscience ou la corruption du collège ou conseil royal également est un élément important qui milite pour la violation constitutionnelle.
Dans ces conditions, le chef désigné manque de légitimité et perd sa crédibilité instaurant ainsi un conflit au sein de la communauté pour des années, car le mandat du chef est à vie.

Q. Est-ce que les textes qui régissent la chefferie traditionnelle au Togo sont vraiment appliqués ?

R. Je suis obligé de marquer mon regret par rapport au cadre juridique qui régit la chefferie traditionnelle. Je vous dirai que ce cadre juridique même est source de conflit parce que inadapté aux réalités sociales. En matière de chefferie traditionnelle, on se réfère généralement à la loi portant statut de chef traditionnel qui au fond, se charge de clarifier les attributions du chef dans le développement.

Elle précise que le chef doit parler et écrire en langue française. Ce qui me paraît de confirmer une violation de l’article 143 de la constitution, à moins qu’on arrive à me démontrer que le français fait parti de nos coutumes. Donc du coup, au lieu que cette loi évite les conflits, elle devient source de conflit.

Q. D’aucuns estiment que ces conflits sont le plus souvent le fait des politiques qui ont complètement miné le terrain. Qu’en pensez-vous ?

R.

Je dirai tout simplement que depuis longtemps la politique a pris place de la coutume et a mis en difficulté la chefferie traditionnelle, c’est dommage. Il faut relever que c’est depuis le temps des allemands que la politique a commencé à s’ingérer et vous comprendrez pourquoi le débat sur les conflits, fait croire comme c’est avec les allemands que les communautés togolaises ont connu leurs premiers chefs. Heureusement ces cinq dernières années, la politique a pris de recule.

Mais un autre phénomène non moins dangereux émerge, c’est l’implication de l’élite locale qui au lieu d’encadrer les parents dans le sens du respect de nos coutumes, prend place et agit au nom du conseil royal ou du collège de désignation du chef.

Ainsi, les cadres intellectuels des localités, au lieu de s’unir pour accompagner le nouveau chef, sortent diviser après chaque désignation du chef.

Q. Le conflit qui fait actuellement grand bruit est celui qui secoue TOTSI Kpetefi Cacaveli (canton d’Agoé- Nyivé)

R.

franchement, je ne maîtrise pas parfaitement le dossier de cette localité. Toutefois, je suis convaincu que les maux dont je viens de faire cas ci-dessus, seront à la source du conflit. On reviendra là-dessus dès que j’aurai les éléments d’appréciation de ce dossier.

Q. Certains appellent à des états généraux de la chefferie traditionnelle?

R. Les états généraux de la chefferie deviennent une nécessité et non un vœu. Le constat est clair, ce problème divise les communautés et plante les germes des conflits, exploitées lors des opérations électorales soit par manipulation des populations soit pour instaurer le désordre et la violence dans nos localités.

En effet la CVJR a relevé, ce problème dans ses recommandations et nous-mêmes chacun dans son milieu est conscience de l’impact négatif que ce problème à sur le développement local.

Donc il faut tirer les conséquences et mettre ensemble en œuvre des assises préfectorales et régionales et terminer par la mise en commun des produits de ces réflexions dans un cadre national.
Je propose cette méthodologie en tenant compte de la pluralité des coutumes de nos populations et des spécificités identitaires. FIN

Propos recueillis par Junior AUREL

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