Payadowa Boukpessi: « L’organisation des élections locales comporte quelques défis qu’il faudra relever pour que ça marche »

Payadowa Boukpessi.

La décentralisation en marche dans beaucoup de pays apparaît, aujourd’hui, comme un mode de gestion qui facilite le développement. Conscient de cela, le Togo s’est engagé dans ce mode de gouvernance, qui donne aux collectivités locales plus de responsabilité dans la gestion des affaires les concernant. Après avoir hésité pendant une décennie due, essentiellement, à sa situation politique, le pays a, finalement, adopté une loi sur la décentralisation en 2007. Ce qui marque un pas décisif dans ce processus. Ainsi, le Togo s’apprête à organiser des élections locales dans le courant de cette année. Ceci, pour choisir les élus locaux sensés administrer les communautés à la base et accompagner le gouvernement dans la réduction de la pauvreté, une préoccupation du chef de l’Etat et du gouvernement.

Dans une interview exclusive, le ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales, M. Payadowa Boukpessi, donne des précisions sur les enjeux de ces élections et les défis pour le Togo.

Monsieur le ministre, le Togo s’est lancé dans son processus de décentralisation. Dites-nous ce qu’on entend par la décentralisation ?

Payadowa Boukpessi : Merci Madame, permettez-moi avant tout propos de saluer la communauté des lecteurs de Togo Presse, le quotidien national. La décentralisation est un processus par lequel l’État transfère aux élus locaux une série de compétences que ces élus vont assumer librement sous le contrôle de l’État. Ceci, à travers ce que nous appelons le contrôle de la légalité qu’exerce l’État dans le but de s’assurer que ce transfert de pouvoir s’exerce dans le respect des lois de la République togolaise. Ce contrôle permet de s’assurer aussi que l’exercice de ce pouvoir, sur le plan local, préserve l’unité nationale.

Quelle est son importance pour un pays ?

L’importance de la décentralisation est évidente. En effet, lorsqu’on transfère des compétences à des élus locaux, on espère que l’exercice de cette responsabilité soit plus efficace. Parce que, c’est des gens plus proches des populations et qui connaissent, mieux que quiconque, leurs besoins, ils seront plus à même de répondre aux besoins de ces populations. Donc, il y aura plus d’efficacité dans la programmation des actions au niveau des populations, plus de justesse dans les choix qui seront opérés au profit des administrés. Ainsi, lorsque tout cela est exécuté, il va forcément entraîner beaucoup d’avantages au profit des populations. Je voudrais, à ce stade, faire une petite parenthèse pour illustrer l’importance de la décentralisation. Vous savez que le Togo, notamment avec le président Faure Gnassingbé, a mis en place plusieurs programmes de lutte contre la pauvreté, en commençant par le Document de Stratégie de la Réduction de la Pauvreté (DSRP), le DSRP intérimaire, le DSRP-C. Ensuite est venue la Stratégie de Croissance Accélérée pour la Promotion de l’Emploi (SCAPE), toujours avec pour préoccupation la réduction de la pauvreté. Nous sommes, aujourd’hui, sur le Plan National de

Développement (PND), avec son axe 3 axé sur le volet social et donc qui privilégie toujours la lutte contre la pauvreté.

C’est pour dire que la lutte contre la pauvreté est une constance dans la politique du président Faure Essozimna Gnassingbé. C’est une lutte permanente pour le bienêtre des populations. Nous avons enregistré des résultats positifs, passant d’un taux de pauvreté de 69% à 53%, aujourd’hui. Ces résultats sont encourageants, mais il faut reconnaître que cette pauvreté a la peau dure car, malgré les efforts, elle persiste malheureusement. Donc, la décentralisation est un autre atout supplémentaire dans la lutte contre la pauvreté au Togo.

En fait, la pauvreté c’est l’accès difficile aux services sociaux de base comme la santé, l’éducation, l’énergie, l’eau potable, etc. De ce fait, la décentralisation permettra aux élus locaux qui sont plus proches de ces populations de contribuer, de façon plus efficace, au règlement de ces difficultés d’accès à ces services. Par conséquent, la décentralisation est un processus important dans la lutte contre la pauvreté.

Malgré les avantages liés à ce mode de gouvernance, le Togo, depuis plus de 30 ans, n’a pas pu organiser des élections locales. Peut-on savoir les raisons de ce retard ?

Même s’il est vrai qu’on n’a pas organisé des élections locales à la période indiquée, quand même, il y a eu des préoccupations dans le cadre de ces consultations électorales. Les collectivités locales existaient et ont toujours existé dans notre pays. Ce sont les organes dirigeants qui n’ont pas été renouvelés. Les anciennes collectivités, il est vrai, ont été mises entre parenthèses après la transition. Mais, les membres actuels ont été nommés en 2001.

La parenthèse a duré à peu près 10 ans. Mais depuis lors, les collectivités locales sont animées par des conseillers, même si ces derniers n’ont été que désignés. C’est une preuve, quand même, que l’Etat togolais reconnaît l’importance des collectivités territoriales.

Vous convenez avec moi que, les collectivités locales ont été toujours animées quoiqu’avec une efficacité un peu limitée pour diverses raisons. Beaucoup de conseillers municipaux sont décédés, malheureusement, d’autres malades et en plus du fait qu’ils n’ont pas été renouvelés. Du coup, il y a des collectivités, dont les membres sont en nombre extrêmement limité. Par conséquent, ces collectivités ne sont pas assez efficaces. Mais cela ne veut pas dire pour autant que le gouvernement ne reconnaît pas l’importance des collectivités territoriales. Après 2001, les divergences de vue d’ordre politique ont, en quelque sorte, émoussé l’ardeur du gouvernement.

A chaque fois qu’on a des difficultés, on a privilégié les élections législatives et présidentielles. Ces divergences sont, aujourd’hui, derrière nous. Nous sommes résolument engagés pour les élections locales, qui vont intervenir dans quelques mois. Dans un premier temps, on fera les communales, ensuite les régionales pour élire les délégués régionaux plus tard.

Le Togo est-il réellement prêt, aujourd’hui, pour aller à ces élections ?

L’organisation des élections locales comporte  évidemment quelques défis qu’il faudra relever pour que ça marche.

Le gouvernement s’est engagé à relever ces défis, notamment les instruments juridiques, les transferts de compétences qui sont déjà faits à travers l’adoption d’une loi définissant clairement les compétences et la progressivité des transferts de ces compétences. Ceci était nécessaire, pour permettre au gouvernement de transférer les compétences, notamment dans les domaines de l’éducation, de la santé, du commerce, etc. à des niveaux raisonnables.

Le défi suivant est le transfert des ressources correspondantes. Parce que si on dit, par exemple, aux collectivités de construire les écoles primaires, il faut leur donner les moyens de le faire. Défi que le gouvernement s’est également engagé à relever sans difficulté.

Il y a des défis concernant les capacités de fonctionnement de ces communes. En effet, on ne va plus fonctionner comme aujourd’hui. Il faut que les communes aient les moyens en ressources humaines pour fonctionner. Le gouvernement s’est aussi engagé dans cette voie.

Il faut résoudre l’équation du nombre et des compétences en matière de ressources humaines. Pour ce faire, le gouvernement s’est engagé à mettre à la disposition des 117 communes des secrétaires généraux, qui vont aider les conseillers municipaux à s’organiser.

Mais au-delà des transferts de ressources correspondantes, il faut des appuis au financement, à travers le Fonds d’Appui aux Collectivités Territoriales (FACT) qui sera alimenté par l’État et les Partenaires Techniques et Financiers (PTF). Ce fonds sera réparti entre les collectivités territoriales pour leur fonctionnement et, surtout, pour les investissements qu’ils auront à réaliser. Il y a, dans le même temps, un défi colossal qui consiste à mettre à la disposition des collectivités les infrastructures pour fonctionner. Dans ce cadre, nous  sommes en partenariat avec certains Partenaires Techniques et Financiers (PTF), notamment l’Allemagne, l’UE et autres. Ils se sont engagés à s’inscrire dans la logique de nous aider à mettre ces infrastructures à la disposition des différentes collectivités locales, suivant un programme qui sera défini avec eux. Par conséquent, tout est prêt pour aller, aujourd’hui, aux élections locales. Le premier signal fort pour montrer que tout est prêt, c’est la

nouvelle CENI, qui vient d’être mise en place.

Elle va dérouler son chronogramme et nous serons au courant des dates. Mais je pense que ce sera dans quelques mois, probablement, avant la fin du premier semestre. D’un autre côté, les listes sont là.

Ce sera également un scrutin à listes comme l’a prévu le Code électoral.

Qu’en est-t-il au plan politique ?

 

J’ai reçu des partis politiques récemment, qui m’ont fait part de certaines préoccupations, par rapport à une nouvelle révision des listes électorales. A ce niveau, il faut rappeler que la dernière révision date, seulement de novembre 2018. Le Code électoral n’impose pas de faire une nouvelle révision pour les locales, parce qu’elles n’étaient pas prévues d’avance. Ne perdons pas de vue que dans quelques mois il faudra également faire des révisions électorales pour l’élection présidentielle de 2020.

Donc, dans ce schéma, il y a des difficultés pour le gouvernement de l’envisager. Mais, après compte rendu à l’autorité suprême, et suite à la demande formulée par la délégation de la coalition des partis politiques de l’opposition qui a été reçue par le chef de l’Etat, le 20 mars dernier, nous avons été formellement instruits de saisir la CENI, afin qu’elle envisage effectivement d’organiser une révision des listes électorales à l’occasion des locales. Ce sera, probablement, pour une période de trois jours comme on l’a fait déjà en 2018. Comme les listes sont récentes, nous supposons qu’il y aura certainement très peu de nouveaux inscrits.

La CENI déterminera les modalités pratiques dans ce sens. S’il y a quelques difficultés, on pourra proroger le délai. Dans une certaine mesure, on connaît le potentiel électoral de 2015, on peut déjà, faire des extrapolations pour 2019. Car, si on connaît le chiffre de 2019 et combien ont été déjà enregistrés en2018, il suffira de faire la différence. Avec le nombre de kits, dont nous disposons, on sait combien nous enrôlons par jour, donc, trois jours seront suffisants pour cette opération.

Néanmoins, s’il y a des difficultés, parce que c’est une histoire de machines, nous aviserons. Ce sont des doléances auxquelles le chef de l’Etat a apporté des réponses appropriées.

Ne pensez-vous pas que si on enlevait l’étiquette politique à ces élections locales comme dans certains pays de la sous-région, ce serait mieux pour tout le monde ?

C’est vrai, nous l’avions suggéré. Le Ghana, par exemple, organise ses élections locales sans les partis politiques. Ce sont des individus qui désirent le développement de leur milieu qui se présentent. Mais si un individu se présente avec la caution d’un parti politique, il est disqualifié.

Chacun vient avec sa liste s’enregistrer et c’est la Commission électorale qui se charge de battre la campagne pour chaque liste dans les collectivités.

En fonction des résultats de chaque liste, la proportionnelle au fort reste. C’est comme ça au Ghana et ça marche.

Ici au Togo, cela permettrait d’avoir une nouvelle classe de dirigeants, de nouvelles figures. Nous sommes dans une dynamique d’inclusion, commençons avec ce que nous avons et l’expérience fera meilleur juge.

Quelle sera la place de la femme dans ces élections ?

Le gouvernement a déjà mis en place des mécanismes pour privilégier l’inscription des femmes dans ces élections. D’abord, celle de la parité sur les listes électorales. Ensuite, la caution à payer par les femmes candidates est réduite à 50%. Le gouvernement a également prévu, dans son budget, une ligne pour le financement des partis politiques.

La répartition est faite d’abord en fonction du nombre d’élues femmes, avant de prendre en compte le nombre d’élus d’une façon générale.

Ces mesures permettent d’encourager les partis politiques à positionner les femmes sur leurs listes électorales. Mais, je me rappelle qu’une femme d’un des partis de l’opposition de ce pays a déclaré lors d’une réunion sur cette question, que «les femmes c’est bien, mais seulement les partis politiques préfèrent positionner les personnes qui les font gagner. Donc, si une femme est en mesure de faire gagner, on la positionnera, on ne va pas la positionner simplement parce qu’elle est femme».

Dans tous les cas, le gouvernement a pris toutes les dispositions pour inciter les partis politiques à positionner les femmes.

Excellence, votre mot de fin ?

Comme mot de fin, nous voulons organiser ces élections locales dans les plus brefs délais afin qu’à travers elles, la promotion du développement local, soit véritablement ancrée dans nos différentes collectivités territoriales et qu’elles puissent, de façon sensible, contribuer à la lutte contre la pauvreté et à la transformation économique de notre pays.

Interview réalisée par Blandine TAGBA-ABAKI