Patrice Talon : « Ma vision est ambitieuse et pragmatique »

Le 16 décembre dernier, le président Patrice Talon a concrétisé le « nouveau départ », promis aux Béninois pendant la campagne électorale, avec son programme d’actions du gouvernement (PAG), lequel est bâti, entre autres, autour de 45 projets « phares ».

Au-delà de sa dimension économique, ce PAG symbolise la philosophie et l’ambition que le président élu en mars dernier nourrit pour le Bénin mais aussi pour l’Afrique, sur les plans politique, social, culturel, environnemental et technologique. Pour mieux être compris, il a répondu aux questions du Point Afrique.

Le Point Afrique : Quelle vision vous habite pour projeter le Bénin dans un meilleur futur ?

Patrice Talon : Ma vision est née d’une révolte face à la pauvreté dans laquelle est plongé mon pays depuis trop longtemps. Nous avons un potentiel très fort pour relancer notre développement, mais il n’a jamais été exploité. Je suis porteur d’une vision à la fois ambitieuse et pragmatique. Ambitieuse, car je veux rapidement augmenter le niveau de vie des Béninois, améliorer la justice sociale, offrir un cadre plus propice à l’activité économique et à l’investissement. Et pragmatique, car nous n’y arriverons qu’en rompant avec la manière dont notre pays a été gouverné jusqu’à présent. Dès le début du mandat, nous avons donc mis en place un système de gouvernance plus transparent et plus efficace.

Avec le programme d’actions du gouvernement, vous souhaitez insuffler une nouvelle énergie au pays. Quelles réformes politiques vous paraissent indispensables pour renforcer la démocratie et l’efficacité de la gouvernance ? Et pourquoi celles-là ?

Avant tout, je veux rappeler que le Bénin est un modèle de stabilité démocratique. Les transitions politiques se déroulent sans heurts, grâce des élections libres et transparentes. C’est important de le souligner. Cependant, il est vrai que la situation doit être améliorée en ce qui concerne l’équilibre des pouvoirs et la gouvernance de l’action publique.

L’exercice du pouvoir exécutif au cours des 26 dernières années a montré que la Constitution du 11 décembre 1990 n’assurait pas un équilibre optimum des pouvoirs et contre-pouvoirs ; la surpuissance du président de la République face aux institutions de contre-pouvoir constitue une faiblesse.

Nous prévoyons donc de réformer la Constitution en ce sens, en renforçant les institutions de contre-pouvoir et en assurant un accès plus équitable à la justice, tant pour nos concitoyens que pour les opérateurs économiques. Nous avons enfin engagé un travail profond pour réformer notre administration, avec un seul objectif : faire en sorte qu’elle serve le développement du pays et la vie des Béninois avec plus d’efficacité.

Sur le plan économique, comment comptez-vous vous donner les moyens d’opérer les transformations structurelles que vous jugez nécessaires au Bénin, tout en préservant le souci constant d’un développement durable ?

Je l’ai dit dans mon discours du 16 décembre dernier : notre programme vise à relancer fortement et massivement notre économie et les bénéfices se feront sentir à 5, 10 ou 15 ans, voire au-delà. Les 45 projets phares que nous avons identifiés seront lancés sur le quinquennat, mais ils sont conçus dans une perspective de long terme.

Permettez-moi de citer le plan que nous mettons en place pour aménager 30 villes pilotes sur notre territoire en travaillant sur la voirie, la gestion des déchets et l’habitat social. Voilà un exemple de politique qui sert à la fois le développement économique, l’inclusion sociale et la protection de notre cadre de vie. Plus globalement, notre programme intègre une forte dimension environnementale, avec la préservation des 125 km de notre littoral contre l’érosion côtière et le reboisement intensif du territoire national. Nous travaillons pour répondre à l’urgence dans laquelle se trouve notre pays, mais, vous le voyez, nous le faisons aussi dans une perspective durable pour préparer l’avenir.

Le Bénin avait un sérieux problème de gouvernance. Comment attaquez-vous cette question ?

Vous le savez, j’ai milité pendant ma campagne pour une rupture radicale avec le mode de gouvernance qui était en place. Cela a été ma priorité dès les premiers jours de mon mandat, et c’est une partie intégrante du programme d’actions du gouvernement. C’est ce qui fait la différence avec les pratiques du passé : nous nous donnons les moyens d’agir avec efficacité, dans l’intérêt des Béninoises et des Béninois.

Pour assurer la réalisation de ce programme, une gouvernance ad hoc a été mise en place, reposant notamment sur des agences autonomes d’exécution et un bureau d’analyse et d’investigation, ainsi qu’un comité de suivi des projets phares, directement placés sous ma responsabilité. Leur rôle a été capital dans la conception de ce programme, dont chaque aspect a été évalué et calculé précisément. En travaillant ainsi, nous voulons accroître notre capacité d’absorption des investissements, tout en accélérant la réalisation concrète des projets sur le terrain. Nous voulons aussi assurer une gouvernance éthique avec l’exigence de l’utilisation optimale des ressources mobilisées et un contrôle constant et permanent de la gestion de ces ressources.

Quelle place les nouvelles technologies et la formation vont-elles occuper dans cette démarche ?

Une place centrale ! Le Bénin était jadis appelé le « Quartier latin de l’Afrique ». Nous allons reconquérir cette position en réformant de fond en comble notre système éducatif afin qu’il assure un meilleur avenir à nos enfants. En parallèle de cela, nous travaillons à développer l’économie du savoir en créant une Cité internationale de l’innovation et du savoir, en partenariat avec les entreprises, les industries et des structures internationales d’enseignement supérieur, de recherche et d’incubation. Notre ambition est de favoriser, à travers cet écosystème, l’émergence de nouveaux centres d’excellence et de promouvoir ainsi les talents des jeunes Béninois et Africains.

Concernant les nouvelles technologies, nous accélérerons très fortement nos efforts en la matière. C’est pour cela que j’ai décidé de mettre en place un ministère dédié au numérique et une agence d’exécution responsable des projets phares dans ce domaine.

Les effets seront très concrets : l’Internet haut et très haut débit déployé sur le territoire national en vue d’atteindre un taux de couverture de 80 % d’ici à 2021, ce qui nous permettra de généraliser l’usage du numérique dans les secteurs de l’éducation et de la formation professionnelle et de développer la e-administration, le e-commerce ou encore les contenus numériques. Ces deux piliers fonctionnent ensemble. Ils agissent comme des catalyseurs de croissance qui touchent tous les secteurs et contribuent à améliorer la vie de nos concitoyens dans la durée.

Du point de vue social, comment comptez-vous changer les paradigmes concernant, d’une part, les femmes, de l’autre, les jeunes pour les projeter dans ce Bénin nouveau que vous appelez de vos vœux ?

L’autonomisation des femmes, l’avenir de nos jeunes, la situation des plus défavorisés sont le fil rouge de toutes nos actions. Nos projets pour l’éducation nationale, la santé, l’accès à la justice, l’emploi doivent servir concrètement le confort de vie des Béninois. Mais il y a un projet qui résume à lui seul cette volonté d’assurer une meilleure inclusion : le gouvernement s’apprête à lancer dès 2017 une politique de protection sociale destinée à ceux qui ne bénéficient d’aucun filet de sécurité aujourd’hui. Les agriculteurs, les commerçants, les transporteurs et les artisans ainsi que les couches les plus pauvres de la population seront les premiers à en bénéficier.

L’impact culturel du Bénin dépasse les frontières du pays. Comment comptez-vous conjuguer tradition, ouverture, histoire, mondialisation et dimension économique du culturel pour remettre le Bénin au centre d’un faisceau d’échanges entre l’Afrique mère et les diasporas ?

Vous avez raison. Le Bénin a occupé une place centrale – et souvent méconnue – dans l’histoire du continent. Je pense à la culture vaudou, dont notre pays est le berceau et qui a marqué tant de formes d’art à travers le monde, en Afrique et jusqu’en Amérique. Rappelons-nous aussi que le Bénin – et plus particulièrement le port de Ouidah – fut un des principaux lieux de départ de nos ancêtres outre-Atlantique.

Et comment ne pas parler de Porto-Novo et de son architecture afro-brésilienne unique ? Si nous avons intitulé notre programme « Bénin révélé »», c’est bien parce que nous voulons révéler au monde notre histoire et notre patrimoine ! Nous voulons en tirer parti pour développer un tourisme de grande qualité, qui passe notamment par la revalorisation de nos lieux de mémoire.

Certains grands anciens comme Nkrumah et W. B. Du Bois imaginaient un avenir radieux du continent dans le panafricanisme. Ce mot a-t-il encore un sens pour vous ? Si oui, lequel ?

Oui. Cela a plus que jamais un sens. C’est par le panafricanisme que le continent trouvera définitivement la voie de son émergence, de sa prospérité et de sa sécurité. Pas dans les luttes intestines. Une coopération plus étroite entre nos pays est le seul moyen d’assurer leur sécurité. Une plus grande intégration à l’échelle du continent est la seule manière d’assurer notre prospérité collective.

C’est d’ailleurs pour cela que j’ai décidé de supprimer les visas d’entrée au Bénin pour tous les Africains, d’où qu’ils viennent. J’y tenais, car c’est une décision qui a du sens. Malheureusement, je suis obligé de constater que l’Union africaine a encore du pain sur la planche pour agir plus efficacement en faveur du développement et contre la pauvreté. Je voudrais que les actions de l’Union soient plus courageuses, mieux organisées, plus efficaces, plus rapides.

J’ai confiance dans le fait que nous y arriverons. D’ailleurs, au niveau sous-régional, nous travaillons très bien ensemble. Nous devons en tirer les enseignements pour mieux collaborer au niveau continental.

Comment voyez-vous l’Afrique, les Afriques de demain, au regard du potentiel humain et économique qui est en train de se mettre en mouvement actuellement ?

Je suis de plus en plus optimiste. L’Afrique décolle, nos forces se révèlent et le Bénin s’inscrit dans ce mouvement. Mais, pour en tirer pleinement parti, j’exhorte les pays d’Afrique à une meilleure gouvernance collective, à une meilleure collaboration et à une meilleure efficacité des politiques communes. C’est la condition pour que le décollage de l’Afrique soit vraiment durable.

Confronté aux réalités du terrain, avez-vous toujours l’obsession du mandat unique ? Pourquoi prendre le risque de ne pas terminer ce que vous commencez…

Vous me posez en fait deux questions. Je veux agir vite et fort, et c’est pourquoi notre programme est échelonné sur cinq ans. Ses bénéfices seront durables, mais sa mise en œuvre est prévue sur ce quinquennat, et ce quinquennat seulement. Mais l’enjeu du mandat unique du président dépasse mon cas individuel. Cette réforme repose sur un constat indéniable : la recherche d’un second mandat a souvent conduit à des politiques populistes, qui ont nui à notre pays. J’ai longuement pensé à cette réforme avant d’être candidat. Depuis que je suis dans mes fonctions, je suis fermement convaincu qu’elle est bonne pour le Bénin. La démarche d’un gouvernement serein n’est pas la même que celle d’un candidat. Les Béninois sont favorables à ce changement et nous allons le mettre en place dans les prochains mois.

SOURCE : Point Afrique