Mme KPEDJI Hadabia: « La cohésion sociale constitue la clé de voûte du vivre-ensemble »

Mme KPEDJI Hadabia

La région des Savanes est de plus en plus menacée par l’insécurité et l’extrémisme violent avec les attaques terroristes dans les préfectures de Kpendjal et de Tône occasionnant la perte en vies humaines et des biens matériels. A ce contexte sécuritaire s’ajoutent les conditions économiques peu favorables à la population des Savanes en général, aux jeunes et femmes en particulier.

Dans un entretien accordé à l’Agence Savoir News, Mme KPEDJI Hadabia Youroufi (Directrice Exécutive de Women in Law and Development in Africa /WiLDAF-Togo) éclaire le public sur la cohésion sociale en lien avec le projet « Savanes Motoag » mis en œuvre depuis près de trois ans dans la région.

Question : Qu’est-ce que la cohésion sociale?

Mme KPEDJI Hadabia : La cohésion sociale, c’est l’ensemble des processus qui contribuent à assurer à tous les individus, l’égalité des chances et des conditions d’accès aux droits fondamentaux et au bien-être économique, sociale et culturel afin de permettre à chacun de participer activement à la vie de la société. Lorsqu’elle est efficace, elle permet de prévenir les conflits communautaires.

Le Projet « Savanes Motoag », qui signifie +jeunes et femmes pour la cohésion sociale dans la région des Savanes+ est mis en œuvre pour renforcer cette cohésion sociale par la promotion des droits politiques et économiques des jeunes et des femmes, le renforcement des capacités de la société civile et des institutions de l’Etat au niveau local.

Initié et mis en œuvre par Plan International Togo en consortium avec Aide et Action, WiLDAF Togo et CACIT, il est cofinancé par l’Union Européenne (UE) et l’Agence Suédoise de Développement International (ASDI).

Quel est l’intérêt pour une communauté de vivre dans la cohésion sociale ?

Le vivre-ensemble exprime les liens pacifiques et de bonne entente qu’entretiennent les peuples ou des ethnies avec d’autres dans leur environnement de vie ou leur territoire. Ainsi, la cohésion sociale constitue une clé de voûte du vivre-ensemble, car il s’agit d’une caractéristique qui influence l’ensemble de ses autres constituantes, soit la paix sociale, l’équité, la justice, le respect des droits et libertés et la non-discrimination.

Elle est également essentielle à la sécurité, car elle permet d’encourager le développement de l’emploi en lien avec les entreprises, les associations et autres organismes, de favoriser l’insertion sociale et professionnelle des personnes en difficulté : jeunes, séniors, handicapés. Pour la renforcer,  rien ne peut égaler les activités de groupe et le team building. Mais le choix ne doit en aucun cas dénigrer la faculté intellectuelle ou physique des participants. Réaliser des activités ensemble, en sortant du monde professionnel est bénéfique pour chacun.

Que faire pour maintenir le climat dans la région des Savanes qui est une zone de plus en plus vulnérable ?

Spécifiquement, le projet « Savanes Motaog » est mis en œuvre pour promouvoir les droits économiques des jeunes filles/femmes vulnérables âgés de 15-35 ans, par un accès aux opportunités de formation et la facilitation de leur participation à la définition de priorités de développement au niveau local. Il vise aussi le renforcement de la participation des femmes à la vie politique et économique, la promotion du dialogue et la concertation multi-acteurs en renforçant les capacités des OSC, surtout celles des jeunes et des femmes et le renforcement  des capacités des autorités locales sur l’intégration et la participation multi-acteurs dans la gestion des problèmes sécuritaires et la gouvernance.

Dans ce sens, le renforcement des capacités des OSC locales, des  CCPLEV/CPPLEV et des autorités locales permettra à la région d’intégrer plus facilement ces acquis au service de la cohésion sociale dans les communautés et les collectivités locales. Ce qui contribuera à l’institutionnalisation de la promotion de la cohésion sociale dans la région des Savanes en particulier et au Togo en général. Ces acteurs disposeront désormais des compétences de base pour perpétuer des systèmes communautaires durables de prévention et de gestion des conflits.

Quel lien faites-vous entre la cohésion sociale et ce projet que vous pilotez depuis bientôt trois ans ?

Le projet se veut de contribuer à soutenir les communautés dans leurs efforts pour améliorer la sécurité. Il propose un modèle qui promeut un climat de paix sociale, d’équité en protégeant les droits et les libertés, l’accès aux opportunités, le renforcement de capacités et le contrôle des dangers. Ces conditions réunies, favorisent sûrement l’harmonie dans les communautés et l’atteinte des résultats du vivre-ensemble dans la paix.

Au niveau économique, la formation et l’accompagnement des jeunes et des femmes respectivement dans l’entreprenariat et dans les groupements d’épargne (GE) induiront la création et l’accroissement de revenus à travers la création d’entreprise, l’accès aux financements et aux marchés. En renforçant le pouvoir économique des jeunes et des femmes, il est attendu qu’ils soient moins vulnérables au recrutement par les groupes extrémistes.

Au niveau social, le projet « Savanes Motaog » crée déjà un capital humain dans les communautés à travers le renforcement de capacités de 6.200 jeunes filles/femmes et garçons/hommes, 9.000 femmes de +35 ans membres de groupes d’épargne, 77 Comités Locaux et 70 chefferies sur l’entrepreneuriat, le genre et la culture de la paix.

Enfin, il est attendu que l’approche de transformation des normes de genre  change durablement les croyances sociales néfastes à la cohésion sociale, tant au niveau de la participation politique que de l’accès à l’emploi des jeunes et des femmes.

Au niveau politique, l’intégration de l’entrepreneuriat, le genre et la culture de la paix dans les curricula d’éducation/formation sera l’un des acquis du projet. Le plaidoyer et les alliances avec les médias et la société civile permettront l’application effective de la loi sur la décentralisation et la fourniture effectives des services sociaux de base aux populations.

Il est attendu que les autorités locales intègrent durablement les femmes et les jeunes dans les mécanismes de prise de décision et la définition des priorités de développement dans leurs communautés.

Je pense pour ma part que ces conditions réunies, permettront de façon durable de contribuer au maintien de la paix dans la région des savanes.

Pensez-vous que les jeunes, les femmes, les personnes handicapées et les médias ont un rôle à jouer dans le maintien de la cohésion sociale?

Oui dans la mesure où les femmes et les jeunes constituent la plus grande partie de la population. En effet, les jeunes qu’ils soient handicapés ou non, permettent la reconstruction des liens sociaux, l’encouragement du dialogue, la  facilitation,  l’apaisement et la réconciliation.

Quant aux femmes, elles ont une expérience, des compétences et des perspectives originales à mettre au service de la paix entre les individus comme entre les nations. Par la qualité de leur vision des choses, les femmes peuvent insuffler une inspiration neuve à un effort concerté pour passer de la culture de la guerre à une culture de la paix.

Ainsi, comme l’a dit à juste titre l’ancien Directeur Général de l’UNESCO M. Amadou Mahtar M’Bow lors de la conférence mondiale de Copenhague sur les femmes en 1980 : « la sensibilité des femmes, leur ténacité de sacrifice et de dévouement ont souvent fait basculer d’importants enjeux dans les circonstances les plus décisives de la vie des peuples même si l’apparence ne leur laissait que de seconds rôles ».

Ces exemples éloquents nous font dire que la femme a un rôle à jouer dans l’éducation de la paix.

Le rôle de la presse au sein du corps social n’est plus à démontrer. Les médias en jouant leur rôle premier au sein de la société, qui est celui de médiateur, d’informer pour former, un support pour le développement sont des vecteurs de paix et de cohésion sociale. Malheureusement, ils peuvent aussi nourrir les germes des conflits et les entretenir en attisant le feu des inimitiés. L’exemple le plus fameux à cet égard demeure celui de la Radio des Mille collines.

C’est pourquoi le projet a jugé important d’outiller les représentants des médias locaux sur  les devoirs et prérogatives des journalistes dans la dynamique du plaidoyer, l’éthique du journalisme et la communication sécuritaire, le rôle du journaliste dans la culture de la paix et la consolidation de la cohésion sociale.

Quel message fort avez-vous à l’endroit des populations des Savanes par rapport à la cohésion sociale ?

Je félicite les autorités nationales et locales pour toutes les dispositions prises au niveau local à travers les Comités Préfectoraux de Prévention et de Lutte contre l’Extrémisme Violent (CPPLEV), les Comités cantonaux de lutte contre l’extrémisme violent (CCPLEV) et souhaite que la dynamique se poursuive pour barrer la route aux djihadistes. Dans le cadre de la situation sécuritaire qui prévaut dans la région des savanes, il est important d’impliquer toutes les catégories de personnes dans l’édification et la préservation de la paix ; ne laisser personne de côté. L’égalité des sexes est essentielle pour assurer la cohésion et le maintien de la paix ou sa restauration en temps de conflit. FIN

Propos recueillis par Gnandi SAMA