La résistance aux insecticides : 2.155 morts liés au paludisme en 2013 au Togo (MAGAZINE)

« Je suis hospitalisée depuis 10 jours au CHR d’Atakpamé à la suite d’une crise de paludisme. Je suis élève en classe de 5e au collège public d’Atakpamé et c’est la première fois que je viens ici. Mais mon père qui était un agriculteur est décédé aujourd’hui même à la suite d’une crise de paludisme qu’on n’a pas vite diagnostiquée », m’a confié d’une voix à peine audible Mlle Rose Guedoh , une élève en classe de 5e devenue orpheline de père à cause du paludisme, une maladie qui a fait 2155 victimes en 2013 contre 1197 en 2012 au Togo.

Au CHR d’Atakpamé situé non loin des champs de tecks à environ 170 kilomètres de Lomé, les consultations liées au cas palustres sont passées de 3232 patients en 2012 à 4796 patients en 2013, soit une hausse de 8,28%.

Dr. Dossou, paludologue et chef du département de la pédiatrie au CHR d’Atakpamé, m’a fait comprendre avec les rapports d’activité à l’appui que les consultations liées aux cas palustres sont en hausse durant tous les mois de l’année dans le service de la pédiatrie.

« Si nous prenons nos rapports d’activité, nous pouvons dire tout de suite que la paludisme est une maladie endémique qui s’étend sur toute l’année de janvier en décembre avec le pic dans les mois de juin et juillet pendant la saison pluvieuse. Le taux de consultation dû au paludisme est très élevé surtout dans le service de la pédiatrie. Par exemple, la pédiatrie a enregistré en janvier dernier 190 cas d’enfants malades dont 167 cas palustres. En général, le taux de consultation liée aux cas palustre tourne autour de 29% à 30% chaque mois et cela peut atteindre 40% pendant le pic. », a confié Dr. Dossou.

Du côté du programme national de lutte contre le paludisme, on attribut la prolifération de l’anophèle femelle, le principal vecteur du paludisme, dans les zones agricoles à certains facteurs liés aux activités champêtres dont l’utilisation abusive des insecticides en occurrence le DDT et les pyréthrinoïdes.

« On assiste impuissant au phénomène de la résistance du vecteur face aux insecticides à cause de certains facteurs liés aux activités champêtres dont l’utilisation abusive des insecticides. Malgré tous nos efforts, on remarque une hausse de cas palustres », a expliqué Dr. Awokou Fantchè, coordinateur du programme national de lutte contre le paludisme.

Pour élucider le mystère entourant la résistance des moustiques aux insecticides dans les habitations après être exposés au DDT et aux pyréthrinoïdes (deltamethrine) dans les champs, je me suis rendue au laboratoire d’entomologie appliquée de la faculté des sciences de l’université de Lomé.

Les raisons de la résistance aux insecticides chez les moustiques au Togo

Dr. Ahadji Dabla K. Mensah, écotoxicologue, a répertorié quinze espèces d’anophèle se trouvant à la fois au Togo et dans la sous région dont la plus répandue reste l’anophèle gambiae SL (sens large) et N (normal), les principaux vecteurs du paludisme au Togo.

Il a démontré au cours d’une étude consacrée à la répartition géographique des moustiques et à la résistance aux insecticides de synthèse que les anophèles gambiae du type SL et N qui prolifèrent dans les zones humides et dans les étendues d’eau claires finissent par être moins sensibles aux insecticides utilisées dans les habitations après un contact prolongé avec le DDT (dichloro diphényl trichloro-éthane) et aux pyréthrinoïdes utilisés dans les champs.

Il a accepté volontiers de reprendre cette expérience, en ma présence, en vue de me démontrer la nouvelle donne relative à la résistance des moustiques aux insecticides.

« Je vais faire exposer 25 femelles d’anophèle gambiae à jeun âgées de 2 à 5 jours capturées dans les champs où sont pulvérisés le DDT aux papiers imbibés d’insecticide ayant les mêmes propriétés chimiques pendant une heure dans un bocal hermétiquement fermé. Après cette durée, vous aurez les explications concernant la résistance des moustiques », m’a lancé Dr. Ahadji Dabla dans sa blouse blanche.

L’attente fut longue dans ce laboratoire réputé pour ses recherches sur ce phénomène de la résistance des moustiques aux insecticides. Mais une fois l’heure venue, le constat est sans équivoque.

« Comme vous pouvez le remarquer, seulement quelques anophèles ont succombé au phénomène que nous appelons dans notre jargon le ‘knockdown’ ou kdr. Le reste des anophèles se sont relevés aussitôt après quelques minutes de léthargie. Cette expérience démontre une résistance aux insecticides car le pourcentage de moustiques ayant succombé dans le bocal reste très faible et en dessous des normes de l’OMS », a expliqué Dr. Ahadji.

Selon les normes de l’OMS, si le nombre des moustiques ayant succombé après les testes est inferieur à 80% alors cela implique une résistance aux insecticides.

Dans le cas précis des testes effectués au laboratoire de la faculté des sciences de l’Université de Lomé, les résultats sont largement en dessous des normes de l’OMS.

« Pour le DDT la résistance est pire puis que après notre teste avec 100 anophèles, nous avons 1% voire 2% de mortalité. A la fin de l’exposition au DDT qui a durée une heure, aucun moustique n’est assommé. Et après 24 heures d’exposition au DDT, on a à peine 3 moustiques +morts+ », a expliqué Dr. Ahadji qui affirme avoir mené déjà à trois reprises des tests sur des moustiques capturés dans plusieurs zones agricoles du Togo.

Les résultats de ces testes ont été corroborés par l’enseignant chercheur togolais, Dr. Guillaume Koffivi Ketoh, entomologue et consultant du ministère de la santé, spécialisé dans la santé public.

« Il est vrai qu’au fil des années, les moustiques qui ont été en contact permanent avec le DDT pulvérisé dans les champs par les cultivateurs finissent par développer une résistance aux insecticides dans les habitations. Cette situation s’explique par le fait que tous ces insecticides ont été produits à base des mêmes molécules que le DDT », a analysé Dr. Ketoh.

Il va plus loin en illustrant par un exemple précis cette résistance aux insecticides après une exposition des moustiques aux pesticides en occurrence le DDT.

« Les cultivateurs en quête d’une bonne récolte pulvérisent leurs champs sans respecter les recommandations. Dès fois, ils pulvérisent les champs plus qu’il ne le fallait mettant les insectes en contact permanent avec les réactifs chimiques du DDT. Certaines molécules du DDT tombent dans les flaques d’eaux ou sont carrément transportées dans les étendues d’eau. Les moustiques vont après pondre leurs larves dans ces eaux et y resteront pendant une journée. Après l’éclosion, les jeunes moustiques exposés depuis leur état larvaire aux propriétés chimiques du DDT sont automatiquement inoculés contre toute autre forme d’insecticide ayant les mêmes composantes », a démontré à titre illustratif Dr. Ketoh.

Il ressort des analyses faites par cet éminent enseignant chercheur togolais que les moustiques ont trois types de mutation qui leur permettent de développer une résistance aux insecticides après être en contact permanent avec le DDT et aux pyréthrinoïdes dans les champs.

Dans le cas le plus répandu, l’anophèle gambiae change de sites d’action pour détourner de leur cible les molécules des insecticides pénétrant dans son organisme rendant ainsi difficile toute fixation pouvant conduire à une intoxication du système immunitaire de l’agent vecteur.

Du coup, les anophèles gambiae peuvent résister aux effets de l’insecticide. Cette aptitude confère aux anophèles gambiae du type SL et N cette résistance génétique qui peut durer plusieurs années dans une zone endémique.

Dans un second cas, le vecteur développe une résistance métabolique en produisant des enzymes de désintoxication à l’instar de l’oxydase et l’estérase qui lui permet de résister aux effets des molécules d’insecticide ayant pénétré dans son organisme.

Tout comme dans le premier cas, cette résistance métabolique s’acquiert aussi après une exposition permanente aux insecticides dans les champs.Les populations étant moins informées sur cette nouvelle résistance aux insecticides causée par l’utilisation abusive et non rationnelle des insecticides en occurrence le DDT et la deltamethrine, hésitent toujours pour changer de comportements dans leurs activités champêtres.

« C’est vrai que dès fois au lieu de deux pulvérisations par saison pour les insecticides dont le DDT, on augmente jusqu’à trois pour contenir les attaques des insectes sur les cultures. Et cela peut causer la résistance chez certains comme vous le dites. Les serpentins et des insecticides qu’on utilisaient avant pour chasser les moustiques dans nos chambres ne fonctionnent plus », a expliqué Montcho jean, un cotonculteur rencontré dans son champ à Tomdè, un canton de la préfecture de kozah.

Dans un second cas, l’agent vecteur qui n’être autre que l’anophèle quinquefasciatus, une souche répandue entre le Sénégal et le Nigeria dans les zones où sont localisées les cultures de maraichage, développe une résistance métabolique en produisant des enzymes de désintoxication à l’instar de l’oxydase et de l’estérase pour résister aux effets des molécules d’insecticide ayant pénétré dans son organisme.

« La déltaméthrine, un composant du décis utilisé pour traiter les cultures en maraîchage, est aussi recommandée par l’OMS pour traiter les moustiquaires imprégnées. Si les moustiques résistent au décis en maraîchage, ils en feront de même avec les moustiquaires imprégnées avec la déltamethrine », a constaté Dr. Ketoh.après ses études menées dans la partie septentrionale du Togo dans les zones périurbaines.

Aux centres hospitaliers de Kara et Tchamba, la réalité demeure la même qu’au centre hospitalier régional d’Atakpamé puisqu’environ 40% des personnes consultées viennent à la suite de cas palustres.

Une solution en vue pour lutter contre le phénomène de la résistance

Pour venir à bout de cette résistance de l’agent vecteur, plusieurs solutions sont préconisées par les différents acteurs tant dans le secteur de la santé que dans celui de l’agriculture. Pour venir à bout de cette résistance de l’agent vecteur, plusieurs solutions sont préconisées par les différents acteurs tant dans le secteur de la santé que dans celui de l’agriculture.

Du côté du ministère de l’agriculture, on pense qu’il est temps de revoir les stratégies de lutte contre les insectes destructeurs des cultures en mettant à contribution les recherches scientifiques.

Déjà, on ambitionne mettre un accent particulier sur une lutte vectorielle qui préconise l’alternance des pesticides et autres dérivés sur une même superficie afin d’éviter que l’agent vecteur ne soit en contact permanent avec un même produit pulvérisé toute sa vie.

« Le monde des chercheurs est là pour nous accompagner dans notre vision de développement de l’agriculture au Togo. S’il s’avère qu’aujourd’hui l’utilisation du certaines pesticides en occurrence le DDT pose problème alors il va falloir revoir nos stratégies. Mais au ministère, on recommande aux agriculteurs l’alternance dans l’utilisation des pesticides pour ne pas habituer les insectes dont les moustiques aux effets des produits qu’ils pulvérisent dans les champs », M. Alabi Lawani.

Du coté des chercheurs de l’université de Lomé, on s’active en vue de mettre au point des méthodes biologiques de lutte larvicide à base des grains de moringa olifera pour élaborer de bio-pesticides.

« Pour le moment ont ne peut pas dire aux populations d’aller verser moringa oléiféra dans les flaques d’eau. Il y a encore beaucoup de chose à faire. Mais,la graine de moringa à une propriété larvicide intéressante. Cet extrais pourra être utilisé contre les larves des moustiques,c’est une façon de contourner le problème de résistance qui se pose avec les pesticides », a confirmé Dr. Ahadji Dabla K. Mensah.

Toutefois, pour certains experts, la vigilance doit être de mise dans l’élaboration d’une nouvelle méthode pour la lutte larvicide à base de molécules de moringa olifera car cela pourrait avoir des effets dévastateurs suivant les écosystèmes dans les différentes les régions.

« L’extrais de moringa olifera c’est l’idéal car c’est du bio pesticide. Mais chaque fois que nous démontrons qu’un produit peut tuer les insectes, cela veut dire que c’est dangereux pour nous aussi. Tant que nous n’avons pas encore mesuré tous les contours de cette plante, soyons méfiant. « , a suggéré madame Isabelle Glitho, directrice du laboratoire d’entomologie appliqué de l’université de Lomé.

En conclusion, les chercheurs de l’université de Lomé estiment que les textes de sensibilité ont montré une résistance de l’agent vecteur non seulement au Togo mais également dans la région.

Aujourd’hui, ils pensent qu’il faille déterminer les principes actifs aux bio-insecticides et explorer d’autres pistes pour un inventaire des plantes ayant des propriétés larvicides et adulticides afin de mettre au point d’autres insecticides pour contourner le problème de résistance du vecteur. Ceci contribuera à la résolution de l’énigme concernant la recherche d’alternative de pesticides de synthèse d’une part, et d’autre part de mettre à la disposition des populations dont le revenu est maigre des bio-insecticides très efficaces à coût abordable.

Aujourd’hui, les avis sont unanimes quand à ce qui concerne l’intensification des luttes vectorielles et larvicides mettant un accent particulier sur l’utilisation des bio pesticides qui seront respectueuses de l’environnement.

Mais à quelques mois de cette date butoir, tout porte à croire que la lutte contre l’agent vecteur du paludisme a du plomb dans l’aile. Toutefois, les avis sont unanimes quant à l’utilisation des moustiquaires imprégnées qui demeurent avant tout une première barrière afin d’éviter tout contact entre les hommes et l’agent vecteur. FIN

NB: « Résultats des tests de sensibilité dans les différentes régions du Togo » et le graphique sur l’évolution des décès en fichier attaché

En Photo: Un maraîcher entrain de pulveriser son champ à base d’insecticide dont certaines particules tombent dans des flaques d’eaux où se developpent les larves des moustiques.

Idissa Bivai

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