La digitalisation des médias: Un modèle en constante évolution

Le comportement des lecteurs a radicalement changé. Attirer de nouveaux abonnés n’a jamais été aussi difficile, et gagner beaucoup d’argent avec du contenu payant est l’exception, pas la règle.

Les médias ont connu une radicale transformation avec la digitalisation des supports. De nos jours, l’information circule en un millième de seconde grâce à internet. Plus encore, les réseaux sociaux mobilisent et rassemblent tous les médias. C’est dans ce contexte que ces derniers ont commencé à changer de stratégie et la presse papier commence à encaisser le coup. Et c’est avec la pandémie que le phénomène de digitalisation s’est accentué. La digitalisation des médias en bonne et due forme est aujourd’hui incontestable. Focus.

Après deux décennies de lutte avec le contenu en ligne, les journaux papiers ont clairement moins de lecteurs et des revenus inférieurs. Bien que les éditeurs aient survécu et soient toujours opérationnels, il est trop tôt pour que les responsables des médias puissent se reposer et se détendre. Le comportement des lecteurs a radicalement changé. Attirer de nouveaux abonnés n’a jamais été aussi difficile, et gagner beaucoup d’argent avec du contenu payant est l’exception, pas la règle. Il est grand temps que les éditeurs examinent leurs lecteurs.

L’industrie a déjà été transformée par plusieurs vagues de numérisation, notamment le partage de fichiers, streaming, social et mobile, poussées par l’impatience des consommateurs d’accéder à n’importe quel contenu de n’importe où dans le monde à tout moment. Et avec des giga-octets de contenus créés chaque seconde, les entreprises médiatiques sont engagées dans une bataille acharnée pour attirer l’attention des consommateurs.

Dans ce marché hyperconcurrentiel, avoir un contenu de qualité ne suffit plus. Les entreprises médiatiques doivent intégrer leur contenu dans des expériences utilisateur de haute qualité, avec un contenu personnalisé, de meilleures recommandations de visionnage…

Pour que ces médias créent le bon contenu et le présentent dans le bon contexte, il faudra de l’innovation et de la numérisation dans toute l’entreprise, de la découverte de nouvelles méthodes de création de contenu (comme le crowdsourcing) à l’expérimentation de moyens imaginatifs de le distribuer (par exemple, via le commerce de détail connecté).
Se réinventer

Repenser son modèle économique est la priorité des engagements. Justin. B Smith, PDG de Bloomberg Media Group, a déclaré à Financial Afrik qu’il faut accepter la digitalisation pour les médias africains. « Cela ne veut pas dire que les autres genres de médias ne vont pas continuer à jouer un rôle important dans la vie du consommateur. Et en matière de digitalisation, je dois dire que les médias africains sont bons élèves » a-t-il enchainé.

Il explique qu’à travers les décennies, les médias ont été frappés par plusieurs évolutions technologiques et qu’ils savaient riposter. « Tout le monde avait prédit que la télévision tuera la radio ou qu’internet tuera le print mais il n’en est rien » a-t-il martelé. Seulement c’est le digital qui aura la première place désormais. Et non les médias traditionnels.

En Afrique, le changement est accepté par les médias et les dirigeants commencent à se préparer à ce défi. Mais, le modèle économique de la très grande majorité des médias africains se contente encore de publicités, bien plus que de l’abonnement. « Ce modèle, plus utilisé dans l’occident, renforce le chiffre d’affaires et aide à réaliser des investissements futurs sans pour autant être dépendant des insertions publicitaires » a ajouté Smith. De plus, les GAFA commencent à absorber 75% des revenus publicitaires. Ce que plusieurs ignorent c’est que les réseaux sociaux sont des médias.

De fait, choisir d’avoir une relation directe avec les consommateurs, par le biais des abonnements, est la méthode que conseille le PDG de Bloomberg puisque Marc Zuckerberg essaye d’être à la tête du média le plus imposant au monde et les revenus publicitaires rétrécissent à vue d’oeil.

Malgré une nette réduction des revenus et des bénéfices, le ralentissement semble plus gérable qu’on ne le craignait initialement. Mais ce sentiment d’urgence décroissant est à la fois trompeur et dangereux. La plupart des maisons d’édition sont loin d’être prêtes pour le prochain niveau de numérisation.

Il est révolu le temps où chaque ménage avait au moins un abonnement de longue date à un journal. Mais au lieu de s’intéresser fortement à ce que leurs lecteurs veulent et ont besoin, trop d’éditeurs travaillent toujours de la même manière qu’auparavant. Ils rédigent et diffusent du contenu pour leurs produits imprimés et peut-être leur site Web. Mais ils ne pensent pas aux fonctionnalités numériques innovantes, aux infographies interactives ou aux vidéos qui pourraient enrichir ou même remplacer le texte traditionnel.

Innover n’est pas aussi simple

Le paradigme numérique de la création de produits adaptés au client est encore largement peu utilisé dans l’industrie des médias. Par conséquent, les produits innovants sont rares. Les éditeurs spécialisés ont une longueur d’avance en proposant des bases de données et des séminaires qui complètent leur contenu très spécifique, comme pour la presse économique et financière. C’est une approche que certains journaux commerciaux appliquent avec succès à leur public. Ils ont même des clubs d’affaires qui organisent des événements de réseautage et des conférences exclusives.

Mais l’innovation produit ne doit pas s’arrêter là. L’application de scan de Bloomberg est un exemple innovant. Il analyse automatiquement tout article de presse pour révéler des données de base et des informations relatives aux entreprises et aux personnes mentionnées dans le texte. Démontré par le succès des sociétés de médias Netflix, Spotify et Amazon Prime, même la jeune génération est prête à payer des abonnements. L’astuce est de savoir ce qu’ils apprécient.

Autre exemple, le quotidien allemand Die Welt possède l’une des approches numériques les plus complètes de l’industrie des médias. Leur rédaction intégrée produit tout types de contenus (textes, vidéos, images, graphiques interactifs, etc.) pour tous les canaux (papier, en ligne, application). S’éloigner complètement de la mentalité traditionnelle du silo permet à l’éditeur d’atteindre tous les types d’utilisateurs avec un journalisme de haute qualité à tous les niveaux.

Un autre atout est leur réactivité agile à l’évolution du comportement des utilisateurs. Sur la base d’analyses détaillées des habitudes de lecture de leurs utilisateurs, ils ont récemment adapté leur site Web aux besoins des utilisateurs mobiles et ont ajouté des vidéos à chargement plus rapide. Cette valeur améliorée pour le lecteur s’est accompagnée d’un changement dans leur stratégie de contenu payant pour mieux monétiser le contenu supplémentaire. Un lecteur satisfait paiera.


En Tunisie, les médias suivent le courant

Comme dans le reste du globe, les médias tunisiens ont eux-aussi été rattrapés par les vagues de transformation digitale. Sahar Mechri, Directrice exécutive de l’Economiste Maghrébin et du Manager, a indiqué que le digital a incontestablement changé le mode de consommation des lecteurs et l’offre de la presse papier a dû s’adapter. « Je dis bien s’adapter car il y a un contenu approprié pour chaque support. Cette adaptation a consisté en une diversification des canaux de distribution du contenu médiatique et l’apparition de nouveaux formats qui s’y adaptent tels que les podcasts ou la vidéo » a-t-elle expliqué.

C’est dans ce sens qu’aujourd’hui, presque tous les médias ont développé une présence sur le digital. Néanmoins, le papier n’a pas encore disparu de la circulation. « Je voudrais préciser que les marques en Tunisie restent encore attachées aux supports papier. Nous l’avons expérimenté lors du premier confinement qui s’est tenu de mars à mai 2020. À défaut de pouvoir imprimer, nous avons converti nos supports en des versions digitales très ergonomiques. Toutefois, ce sont nos annonceurs qui ont souhaité qu’on reprenne l’impression. Je pense que les deux canaux de distribution sont complémentaires, l’essentiel c’est d’avoir un contenu de qualité. C’est ce qui nous ressort dans nos sondages de satisfaction » assène la directrice de médias.

Mais le choc de la transformation a été dirigé vers les revenus publicitaires. « La consommation du digital a permis à l’annonceur de diversifier ses canaux publicitaires donc la part dédiée à la presse écrite sera moindre » a-t-elle martelé. Etant donné que le recours accentué aux réseaux sociaux permet aux marques d’avoir leur propre tribune à elles et donc de moins recourir aux médias.

En d’autres termes, c’est le serpent ou le digital qui se mord la queue. L’ampleur que prennent les influenceurs sur les réseaux sociaux pour les entreprises en B2C a en quelque sorte métamorphosé certains plans de communication des marques.

En riposte, les modèles économiques ont changé. « La multiplication des canaux de communication a fait baisser la part de la publicité, d’ailleurs, qu’elle soit sous forme d’insertion papier ou de bannières. Suite à une période de surabondance publicitaire, les marques s’orientent plus aujourd’hui vers la production de contenu » ajoute Sahar Mechri.

A ses dires, les médias gagneraient donc à s’émanciper plus des revenus publicitaires, à se diriger vers les abonnements et à diversifier leurs sources de revenus. Pour cela, il faudrait produire un contenu de qualité et exclusif. « Nous concernant à Promedia, nous avons adopté ce modèle de diversification depuis 1996, en organisant des espaces de discussions qui enrichissent le débat public faisant intervenir des experts de renommée internationale. Je cite le Forum de l’Économiste ou les rencontres de l’Économiste. Nous organisons de même des événements qui valorisent l’initiative privée telles que les Femmes entrepreneures de Tunisie, et le Manager de l’année » indique la directrice de Promedia.


Les stratégies d’urgence

La digitalisation concerne une mutation du mode de consommation du contenu médiatique et donc le produit en lui-même qu’il soit en format écrit, audio ou vidéo. « Vous imaginez bien que ceci appelle à une réflexion stratégique et à une certaine réorganisation en vue de plus d’agilité. L’impératif de diversification des sources de revenus est commun à tous mais chaque entreprise médiatique élaborera sa stratégie en fonction de son positionnement, de ses objectifs et de la nature de sa cible » recommande Sahar Mechri. « La clé de voûte serait à mon avis de lancer des initiatives digitales (test and learn) à même de booster le contenu éditorial » a-t-elle conclu.

Azyz Meddeb