ZLECAf : « Aucune entreprise du Togo ne peut profiter de ce marché… » (Tata Yawo Ametonyenou)

Tata Yawo Ametonyenou

Les acteurs de la société civile et du monde des affaires ont bouclé le 24 mars à Lomé, un Forum national pour mieux cerner les contours de la Zone de Libre-Échange Commercial en Afrique (ZLECAf), un accord qui continue de faire peur aux promoteurs de produits locaux.

Dans une interview accordée à Savoir News, Tata Yawo Ametonyenou (Directeur exécutif de l’Organisation pour l’Alimentation et le Développement Local) étale les inquiétudes de l’OADEL.

Savoir News: La Zone de Libre Échange Continentale Africaine (ZLECAf) est effective depuis le 1er janvier 2021. C’est quoi exactement la ZLECAf et quels sont ses objectifs ?

Tata Yawo Ametonyenou: La ZLECAf est un grand marché commun pour tous les africains, c’est-à-dire que nos chefs d’Etat ont décidé que, depuis janvier 2021, chaque entrepreneur africain qui produit un bien ou service, peut aller le vendre dans n’importe quel pays sur le continent africain. Il n’y aura plus de frais douanier à l’entrée d’un pays quelconque. Ainsi les produits nigérians, tanzanien ou marocains peuvent aller librement sur le marché togolais, libérien ou éthiopien. C’est le libre-échange. L’idée est de fluidifier le commerce interafricain et de booster l’économie continentale avec plus de création de richesses et d’emplois.

Selon la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA-ONU), la ZLECAF est un marché potentiel de 1,2 milliard de consommateurs actuellement et près de 2,5 milliards en 2050. Mais vous semblez inquiets. Pourquoi ?

OADEL est inquiète pour les entrepreneurs togolais, notamment ces hommes et femmes qui produisent de la nourriture conditionnée. Depuis quinze ans, nous faisons la promotion de la consommation des produits alimentaires locaux transformés et conditionnés. Ces produits sont encore peu visibles sur le marché, inaccessibles à la fois géographiquement, à cause de la faible capacité de distribution des entrepreneurs,  et économiquement, à cause des coûts de production encore élevés au Togo comparativement aux autres pays.  Notre pays a une faible capacité d’industrialisation.

Du coup, si nos frontières sont ouvertes aux produits alimentaires venant des autres pays fortement industrialisés où les aliments sont produits à faible coût, avec un meilleur emballage par des entreprises qui ont une forte capacité de distribution et de communication, nos marchés vont être inondés et nos entrepreneurs ne peuvent pas supporter cette concurrence. La population ayant accès à des produits étrangers, bien emballés et moins chers, à cause de leur faible pouvoir d’achat, vont se ruer vers ces produits, délaissant ceux de leurs entrepreneurs et ce sera la mort assurée pour les entrepreneurs locaux.

Voilà notre inquiétude. Et elle vaut à la fois pour le secteur agroalimentaire, mais aussi pour tous les autres secteurs : habillement, menuiserie, etc.

On peut dire que c’est l’un des espaces commerciaux les plus importants du monde. Un aussi grand marché présente forcément des atouts ! N’est-ce pas une occasion pour les producteurs togolais de se positionner sur ce marché, pour faire valoir nos produits et exploiter les opportunités ?

Oui, mais combien d’entrepreneurs Togolais sont capables de produire suffisamment en quantité pour aller vendre au-delà du Togo ? Et de quels entrepreneurs parlons-nous ? Des grosses sociétés avec des capitaux étrangers ? Ou les entreprises locales, souvent avec de l’autofinancement, de petite taille, voire très petites mais qui travaillent sur des chaînes de valeur porteuses qui nourrissent des milliers de bouches ?

Les auteurs de la ZLECAf ont mis en place une série de réglementations pour contrôler ce marché continental africain. Au rang de ces règles, les questions de normes et de qualité. C’est-à-dire, qu’avant que le Togo ne puisse aller vendre par exemple son maïs, ou son jus d’ananas sur le marché marocain ou nigérien, il faut que ces produits respectent un ensemble de normes et de qualité, lesquelles doivent pouvoir être attestées par une structure régulièrement établie et homologuée par l’Etat. Or, on se rend compte que l’Etat Togolais n’a pas encore l’ensemble de ces structures et les quelques-unes (Agence Togolaise de normalisation, Haute Autorité de la Qualité et de l’Environnement, …) qui existent n’ont pas tous les moyens humains et financiers pour travailler convenablement. En d’autres termes, le Togo n’a pas encore son infrastructure qualité (système de métrologie, de normalisation, d’évaluation de la conformité, d’accréditation et de surveillance du marché). Aucune entreprise du Togo ne peut donc profiter de ce marché africain. Par contre, et c’est ça qui nous fait peur aussi, en l’absence de ces structures, le marché togolais ne peut pas se protéger, et donc tous les produits venant des autres pays peuvent accéder librement à notre espace commercial et le dérégler.

Vos inquiétudes vous ont amené à organiser un forum national sur la ZLECAf, pour en cerner les contours. Avez-vous été satisfaits, êtes-vous rassurés aujourd’hui ? Des doutes persistent?

Le forum sur la ZLECAf organisé avec deux autres organisations sœurs, REPA-Afrique et CIPEA a justifié nos craintes : peu d’entrepreneurs et de consommateurs sont au courant des enjeux et des défis de la ZLECAf. Mais nous sommes satisfaits de ce forum car, les communicateurs ont tout dit sur cette zone de libre-échange et on comprend que le vin est tiré il faut le boire. Nous ne pouvons plus nous soustraire de cette ZLECAf. On est déjà dedans. Nos Chefs d’Etat ont décidé, il faut avancer. Mais la question est : que faire pour que notre économie, encore si faible, puisse s’en sortir ?

Comment comptez-vous vous organiser pour tirer avantage de la ZLECAf ?

OADEL seule ne peut pas grande chose, d’ailleurs, nous ne produisons rien. Nous pensons qu’il faut une meilleure organisation et structuration des entrepreneurs Togolais pour à la fois s’informer et se former sur la ZLECAf, mener des plaidoyers pour que leurs besoins soient prises en compte par l’Etat dans les négociations encore nécessaires à l’implémentation de la ZLECAf et aussi et surtout se mettre à niveau sur les questions de normes et de qualités pour que demain, leurs produits ne soient pas refusés sur le marché des autres pays alors que les autres seraient acceptés chez nous. OADEL s’engage à organiser d’autres rencontres du genre sur la ZLECAF à la fois pour les transformateurs agroalimentaires qu’elle accompagne mais aussi pour les consommateurs pour qu’ils soient avisés.  Dans ce sens, nous serions heureux de tous les appuis qui viendraient nous soutenir pour une large communication sur la ZLECAf. FIN

Propos recueillis par Ambroisine Mêmèdé

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