Femmes handicapées au Togo : quand le regard de la société devient une violence

Stigmatisation, discriminations, violences psychologiques et exclusions sociales rythment le quotidien de nombreuses femmes et filles vivant avec un handicap au Togo. À l’occasion des 16 jours d’activisme contre les violences basées sur le genre, des témoignages poignants et des analyses d’acteurs engagés révèlent une réalité trop souvent invisible.

‘’Le regard est un pistolet. Au marché, quand je passe, tout le monde me fixe, commente, juge… Et parfois, dans des espaces où je me sens pourtant compétente, on me dit que parce que je porte un handicap, je ne peux pas faire le travail. Comme si, d’avance, ma place n’était pas là’’.

Ces mots sont ceux de Françoise Xavière Nipapé, animatrice radio, maîtresse de cérémonie et mère de famille vivant avec un handicap moteur. Son témoignage, livré lors de l’émission Carrefour sur Radio Azur à Anié, résume à lui seul la dure réalité que vivent des milliers de femmes et de filles handicapées au Togo.

Un récit fort, chargé d’émotion et de lucidité, inscrit dans le cadre des 16 jours d’activisme contre les violences basées sur le genre, dont le thème national est : ‘’Agissons ensemble contre les violences à l’égard des femmes et des filles handicapées au Togo’’.

Cette campagne est portée par la section togolaise du Réseau des médias africains pour la promotion de la santé et de l’environnement (REMAPSEN), en collaboration avec ONU Femmes et l’ONG La Colombe, avec le soutien du fonds français MUSKOKA.

Une violence enracinée dans les déséquilibres de pouvoir

Au cours de la même émission, Kossi Matègna, responsable de la cellule genre à Anié, rappelle que les violences basées sur le genre regroupent ‘’tout acte physique, sexuel, économique ou institutionnel infligé à une personne en raison de son genre’’.

Il souligne que ces violences sont amplifiées lorsqu’elles touchent des personnes vivant avec un handicap, qu’il soit physique, mental, visuel ou auditif.

La stigmatisation, les préjugés et la marginalisation constituent un terreau favorable aux discriminations quotidiennes. Pour les femmes handicapées, ces violences se manifestent aussi bien dans le foyer que dans l’espace public, à l’école, sur les lieux de travail ou même dans les services sociaux.

‘’Tu ne peux pas’’ : quand le préjugé devient une arme

Les violences commencent souvent très tôt. Françoise Xavière se souvient d’un épisode marquant de son enfance : ‘’À l’école, mes camarades m’ont arraché mes béquilles. Je n’ai pas pu aller en récréation. J’ai pleuré, mais personne n’est venu me consoler’’.

Avec le temps, les regards blessants et les commentaires humiliants laissent place à une phrase récurrente : ‘’Tu ne peux pas’’.

Pour de nombreuses femmes, le handicap devient un prétexte à l’exclusion : ‘’On te désarme à première vue et on te fait comprendre que là, ce n’est pas pour toi’’, confie-t-elle.

Elle évoque aussi les violences symboliques subies dans la sphère familiale : ‘’Être fille en Afrique, nous savons ce que cela signifie. Être femme handicapée… hum ! Même ma belle-famille doutait que je puisse avoir des enfants’’.

Aujourd’hui mère de famille, elle dit avoir parfois eu l’impression de devoir ‘’prouver’’ ce qui n’aurait jamais dû être remis en question.

Compétentes mais constamment mises à l’épreuve

Ce combat quotidien est partagé par Simliwa Adjo, couturière et mère de famille vivant avec un handicap moteur : ‘’À l’atelier, certains clients doutent de ma capacité à faire le travail demandé. Dans mon quartier aussi, on me dénigre, surtout à cause de mon habillement’’.

Des témoignages qui illustrent la persistance des préjugés, même lorsque les compétences, l’expérience et la volonté sont bien présentes.

Pour Kossi Matègna, la situation est profondément injuste : ‘’Les personnes handicapées ne choisissent pas leur condition. Elles apprennent un métier, travaillent, contribuent à la société. Ce n’est pas leur handicap qu’il faut regarder, mais leur valeur’’.

Perte d’emploi et violences silencieuses

La précarité économique reste une autre forme de violence. Sewa Akovi, handicapé visuel et père de famille, témoigne : ‘’Depuis que je suis devenu aveugle, j’ai perdu mon emploi. On m’a mis à la retraite. Je ne fais pratiquement plus rien’’.

Dépendant aujourd’hui du soutien de ses enfants, il lance un appel aux autorités : ‘’Nous exhortons le gouvernement togolais à revoir notre situation. Nous souffrons éperdument’’.

Dans les foyers, les violences restent souvent tues. Fidel Olanlo, photographe et président d’une association locale de personnes vivant avec un handicap, confirme : ‘’Nous recevons de nombreux cas de violences, surtout contre les femmes, et beaucoup subissent en silence dans les foyers’’.

Handicap et situation de handicap : une distinction essentielle

Pour Enyonam Akakpo-Numado, président du conseil d’administration de la FETAPH, il est urgent de changer de regard : ‘’Une personne handicapée peut ne pas être en situation de handicap si son environnement est adapté. Une rampe d’accès peut suffire à supprimer la barrière’’.

Il rappelle que selon le RGPH5 de 2022, 10,73 % de la population togolaise vit avec un handicap, dont 11,92 % de femmes, contre 9,42 % d’hommes. À l’échelle mondiale, le rapport sur le handicap estime que 16 % de la population est concernée, mettant en lumière des avancées, mais aussi des défis persistants en matière de financement, de coordination et d’inclusion.

Agir ensemble : un impératif collectif pour faire tomber les barrières

Au-delà des chiffres, les témoignages convergent vers une même urgence : adapter les espaces publics, lutter contre les discriminations, sensibiliser les communautés et protéger les plus vulnérables.

Comme le résume Françoise Xavière : ‘’On fait tout pour vivre comme tout le monde. On espère juste que la société fasse aussi un effort pour jeter ses préjugés à la poubelle’’.

À travers la campagne des 16 jours d’activisme, REMAPSEN, ONU Femmes et leurs partenaires rappellent que la lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles handicapées est un impératif collectif. Car le véritable changement commence par une chose simple mais essentielle : écouter, comprendre et regarder autrement celles qui se battent chaque jour pour leur dignité. FIN

Bernadette AYIBE/Chrystelle MENSAH

www.savoirnews.tg, l’info en continu 24H/24