Kaï Tomety (Coach Eperviers Dames) : « Si on a le quart des moyens déployés au niveau des hommes, je vous jure qu’on aura des Adebayor féminins »

Kaï Tomety

« Si on a le quart des moyens déployés au niveau des hommes, je vous jure qu’on aura des Adebayor féminins sur l’échiquier international », a déclaré à l’agence Savoir News, Mme Kaï Tomety, Coach Eperviers Dames. L’entraineur des Eperviers Dames a également dévoilé sa passion pour le football, son rêve, ainsi que les défis liés à sa mission.

Mme Tomety, entraîneur des Eperviers Dames. On n’en compte pas beaucoup. Quel sentiment cela éveille en vous ?

Je dirais tout simplement que c’est un défi et une passion. C’est un métier que les femmes n’embrassent pas beaucoup. Nous sommes assez rares dans ce domaine, mais c’est un métier que je fais avec passion et c’est vraiment un défi pour ma personne, et pour toutes les femmes qui aiment le sport et particulièrement le football.

Entraîneur depuis combien d’années ?

Plus de 20 ans déjà. J’ai été nommée entraîneur assistante des éperviers dames depuis 2005. J’ai occupé ce poste de 2005 à 2012, et après il n’y avait plus de football féminin au Togo. Je suis quand même restée dans le métier, étant enseignante d’EPS. Car, j’ai continué par entraîner les jeunes lors des championnats scolaires et universitaires. En 2017, j’ai été nommée sélectionneur national des éperviers dames. Et depuis 2017, je conduis l’équipe nationale féminine senior du Togo jusqu’à nos jours.

Comment se porte l’équipe aujourd’hui ?

L’équipe se porte à merveille. On a joué une CAN en 2022 pour la première fois dans l’histoire du football féminin du Togo. On a raté la seconde qualification contre la Tanzanie et nous sommes dans la course pour jouer encore la CAN en 2026.

Kaï Tomety

Donc au premier tour des éliminatoires, on a pu battre la Djibouti par 10-0. On a fait 5-0 en match aller et 5-0 en match retour. Nous avons également un match contre le Burkina Faso en octobre, et nous sommes en train d’affûter nos armes pour y participer efficacement. Nous profitons des vacances des filles qui sont à l’étranger, pour travailler et renforcer la cohésion, faire quelques évaluations technico-tactiques pour bien jouer les matchs contre le Burkina Faso en octobre.

C’est beaucoup de stress et de travail…

Vous voyez comment mes cheveux sont blancs ? (Rires) C’est une question de patience et avec le temps et la pratique, ça finit par s’améliorer.

Lorsque nous sommes allées en Côte d’Ivoire, toutes les équipes qui étaient venues, avaient de l’expérience. Nous, depuis 2000 jusqu’en 2013, il n’y avait plus eu de football féminin. Donc, c’est qu’on venait dans un monde trop vieux pour nous. Il fallait juste comprendre qu’on y était pour acquérir de l’expérience, il fallait donc nous donner du temps pour gagner en professionnalisme…C’est une question de temps et aussi de moyens.

De zéro professionnel en 2017 à ce jour, j’ai 28 joueuses à l’étranger (Maroc, Egypte, France, Guinée équatoriale, RDC, Arabie Saoudite, Dubaï, etc.).

Elles ne sont pas dans des grands clubs, mais déjà elles évoluent à l’étranger, elles vivent du foot. Et pour la femme, c’est quelque chose. Il y en a qui sont en train de construire des maisons au pays, il y a des indicateurs.

Je vous dis, si on nous donne un quart des moyens qu’on déploie au niveau des hommes, je vous jure que, sur l’échiquier international, on aura des Adébayor féminins aussi. Parce qu’il y en a, je sais, qui ne sont pas encore détectées, qui sont là, qui sont dans l’ombre.

Mon dernier combat que j’ai gagné, je suis arrivée à mettre en place une équipe U-17 actuellement. Les séniors ont joué récemment contre les U15 et quelques U17.

Coach des Eperviers Dames, Professeur d’EPS…, vous avez une vie de famille ?

Oui, je suis mariée, mère de deux enfants. J’ai une fille et un petit garçon, deux enfants très adorables qui aiment bien le sport. Le plus petit a 11 ans et c’est un fan de Cristiano Ronaldo.

Qu’est-ce qui vous a amené à dire « je veux faire du foot » ? Avez-vous un modèle ?

Mon rôle modèle dans le football, c’est mon père, Tomety Kankué Papavi. Il n’a pas été un joueur professionnel, mais il a su me mettre sur la voie. En fait, mon histoire avec le football est un peu particulière. Mes parents ayant déjà deux filles, souhaitaient avoir un garçon. Mais à ma naissance (à l’époque, il n’y avait pas d’échographie pour détecter le sexe) lorsque mon père a appris qu’il venait encore d’avoir une fille, loin d’être déçu, il a dit « ce qu’un homme peut faire, une fille aussi peut le faire ». Et depuis mon enfance, il m’emmenait au terrain et me faisait faire des tours de la pelouse de football de Ifodjè d’Atakpamè, je suis née à Atakpamè.

Donc en faisant le tour, il voulait que je fasse l’athlétisme. Mais je me suis transformée en ramasseuse de ballons, sur le terrain d’Ifodjè. Je ramasse les ballons qui s’échappent et je leur renvoyais. Je jouais tellement fort, que les hommes et les joueurs d’Ifodjè étaient impressionnés. Et c’est comme ça que je suis rentrée dans le groupe des petits garçons qui jouaient aux ramasseurs de balles autour du stade. Et on jouait ensemble, et j’ai grandi avec eux en jouant au football.

Comment réagit votre entourage ?

Et comme c’était le désir de mes parents, ils ne m’ont pas interdit. Et plutôt, les préjugés, la violence venait du milieu des parents environnants : une fille qui joue avec les garçons, c’était un garçon manqué, elle ne serait pas soumise à son mari, je ne peux pas faire mes études… Mais, mes deux parents m’encourageaient et c’est ma mère qui m’achetait des ballons dans le temps. Elle m’achetait les shorts pour aller jouer. Donc je dirais tout ce que je suis aujourd’hui, je le dois à mes deux parents. Je leur fais un clin d’œil, ils sont déjà au ciel.

Alors, quand vous regardez votre profession et votre vie aujourd’hui, êtes-vous contente ?

Oui, je dirais que je suis fière de moi parce que j’ai pu atteindre les objectifs que je me suis fixés depuis l’enfance. Je ne fais pas que du football, je suis également enseignante à l’Institut national de la jeunesse et des sports de l’Université de Lomé. J’aime beaucoup les études et j’ai pu fréquenter un tout petit peu. Et à côté des études, le football est une passion. Et quand je mets ces deux facettes de moi, ensemble, je me dis que c’est ça. Et c’est moi.

Alors, racontez-nous quelque chose qui vous a le plus marqué positivement ou négativement

Ah, positivement, je dirais la qualification des Eperviers Dames en 2022 pour la CAN. J’en avais rêvé parce qu’on était une bonne génération de joueuses, de 1995 jusqu’en 2003. Et notre rêve, c’était de jouer la CAN. On n’a pas pu parce que les autorités ne croyaient pas au football féminin en ce temps, et on ne nous engageait pas pour les compétitions.

Mais, j’ai toujours dit que je vais jouer cette compétition phare, qui est une fête du football féminin. Et même si je n’ai pas pu le faire en tant que joueuse, je l’ai fait en tant qu’entraîneur, et c’est une fierté. C’est une joie, quelque chose qui m’a vraiment marquée positivement.

De l’autre côté, c’est le décès de mes parents, qui n’ont pas vécu ces moments de grâces. Mon père est décédé en octobre 2021, et on s’est qualifié en février 2022, donc trois mois avant. Ç’aurait été quelque chose de spécial, s’il avait été là… mais je fais foi en cet adage qui dit : »les morts ne sont pas morts », et je chéris l’idée que, de là où sont mes deux parents, ils se réjouissent du travail que fait leur fille.

C’est émouvant… Que diriez-vous aux jeunes filles qui voudraient vous emboîter le pas ?

Je dirais tout simplement d’avoir de l’espoir et de la résilience. Le sport, c’est une activité qui fait du bien. Même si tu ne gagnes pas financièrement, tu gagnes quand-même sur le plan de la santé. Donc, mon message, c’est de dire aux parents de laisser les jeunes filles d’abord pratiquer le sport en général et le football en particulier. Et aux filles, d’être résiliente, d’avoir une mentalité de fer pour braver les préjugés, pour pouvoir bien avancer dans cette discipline. FIN

Propos recueillis par Ambroisine MEMEDE