
Les groupes djihadistes au Nigeria gagnent à nouveau du terrain dans le nord-est du pays, mais aussi sur les réseaux sociaux, en particulier TikTok, utilisés pour diffuser leur idéologie violente et recruter de nouveaux membres.
Des vidéos visionnées par l’AFP sur TikTok montrent des hommes coiffés de turbans tenant des discours virulents à l’encontre de l’Occident, dans un style qui rappelle les messages de propagande d’Abubakar Shekau, l’ancien chef de Boko Haram, au début de l’insurrection lancée il y a plus de quinze ans.
Depuis le début de l’insurrection djihadiste en 2009, plus de 40 000 personnes ont été tuées et environ deux millions de personnes ont été déplacées dans le nord-est du Nigeria, selon les Nations unies.
Au moins 100 personnes ont été tuées dans la nouvelle vague d’attaques djihadistes au cours du seul mois d’avril dans le nord du pays, alors que le gouverneur de l’État de Borno, l’épicentre du conflit, a déclaré que l’État perdait du terrain face aux groupes armés.
L’AFP a identifié plusieurs comptes TikTok où des hommes et des femmes, parfois très jeunes, exhibent armes et liasses de billets, glorifiant la violence.
« Tout a commencé avec les bandits [des groupes armés criminels] », explique Bulama Bukarti, vice-président de la Bridgeway Foundation, une organisation de défense des droits de l’homme, sur son compte X.
« Aujourd’hui, des membres de Boko Haram font des directs sur TikTok où ils propagent leur propagande, justifient leurs crimes et menacent ouvertement ceux qui les dénoncent », a-t-il ajouté.
Lui-même a été directement menacé par un combattant de Boko Haram dans une vidéo TikTok, aujourd’hui supprimée, pour avoir critiqué leur campagne de terreur.
Alors que de nombreux comptes sur l’application de partage de vidéos ont été signalés et supprimés par la plateforme, la possibilité de diffuser du contenu en direct ajoute une difficulté supplémentaire au contrôle du flux d’information.
Nouvelle stratégie
Il est difficile de quantifier le nombre de comptes liés à des organisations terroristes ayant été supprimés, a indiqué à l’AFP une porte-parole de TikTok.
« Les groupes terroristes et leurs contenus n’ont pas leur place sur TikTok. Nous adoptons une politique de tolérance zéro vis-à-vis de l’extrémisme violent, sur notre plateforme comme en dehors », a-t-elle affirmé.
Malgré les mesures prises par TikTok, de nombreux comptes appartenant à Boko Haram et ses factions restent actifs.
D’après plusieurs experts, ces contenus servent à intimider et à faire de la propagande, mais ils jouent aussi un rôle clé dans le recrutement de nouveaux combattants.
L’AFP a observé un schéma récurrent dans les publications de 19 comptes.
Derrière ces comptes se cachent des personnes se présentant comme des prédicateurs prônant le djihad, reprenant les messages fondateurs de Boko Haram selon lesquels l’éducation occidentale serait contraire à l’islam.
Ces comptes republient également d’anciennes vidéos de Mohammed Yusuf, fondateur de Boko Haram, ainsi que celles d’Isah Garo Assalafy, un prédicateur interdit de prêcher en public dans l’État du Niger pour ses propos violents contre la démocratie et la civilisation occidentale.
Les djihadistes diffusent fréquemment des vidéos en direct sur TikTok, dialoguent avec leurs abonnés, répondent à leurs questions et reçoivent des « cadeaux numériques », monétisables en argent réel.
Recruter
Selon Saddiku Muhammad, un ancien djihadiste qui a depuis fait défection, les groupes armés se tournent désormais vers TikTok en raison du renforcement de la surveillance des forces de sécurité sur Telegram, mais aussi à cause de la popularité de TikTok auprès des jeunes.
« Les djihadistes ont compris que pour capter l’esprit des jeunes, ils doivent leur parler dans une langue qu’ils comprennent, au lieu des styles didactiques et démagogiques traditionnels qui sont ennuyeux et peu attrayants pour eux», a déclaré à l’AFP M. Muhammad.
« Montrer leurs visages est une stratégie, cela permet de montrer qu’ils n’ont pas peur et de faire comprendre à leur public qu’ils interagissent avec de vraies personnes, comme pour humaniser le message », explique Malik Samuel, analyste en sécurité au sein du Good Governance Africa.
« L’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP), quant à lui, suit la stratégie de communication centrale de Daech. Les contenus sont produits et diffusés par le centre de communication de l’organisation, puis relayés via une douzaine de canaux sur les réseaux sociaux – Facebook, WhatsApp, Signal, Telegram – liés au groupe », a ajouté M. Samuel.
TikTok a indiqué collaborer avec Tech Against Terrorism, une initiative soutenue par l’ONU, afin de renforcer ses efforts de détection et de suppression des contenus extrémistes violents.
Source : Afp