Santé : La drépanocytose, éviter à tout prix le lourd fardeau (Dossier)

Ilda, la commerçante.

« Je n’ai rien demandé, je n’ai rien choisi, et pourtant, chaque jour de ma vie est une lutte contre une douleur que je n’ai pas méritée », se lamente Ilda, commerçante atteinte de drépanocytose.

Ce cri illustre la souffrance psychologique souvent ignorée de ceux qui vivent avec cette maladie génétique grave, encore méconnue malgré ses ravages : la drépanocytose.

Comme Ilda, des millions de personnes dans le monde souffrent de cette maladie, une pathologie héréditaire qui aurait pu être évitée par un simple test de compatibilité génétique. Derrière les sourires forcés et les efforts du quotidien, cette maladie génétique continue de faire souffrir des personnes en silence. Des douleurs physiques intenses, un poids mental écrasant, une vie suspendue à la prochaine crise.

Une maladie méconnue mais redoutable

La drépanocytose est une maladie génétique qui affecte les globules rouges, responsables du transport de l’oxygène dans l’organisme. Elle résulte d’une mutation de l’hémoglobine A (normale) en hémoglobine S (anormale). Cette hémoglobine déformée peut provoquer divers troubles, notamment des douleurs osseuses et une anémie.

« La douleur osseuse est le symptôme le plus fréquent. L’anémie et les infections à répétition sont aussi caractéristiques, notamment chez les enfants atteints de formes graves comme le type SS », explique le Prof. Hèzouwè Magnang, médecin hématologue et directeur du Centre National de Recherche et de Soins aux Drépanocytaires (CNRSD).

« La drépanocytose est une maladie héréditaire, transmise par les gènes des deux parents. Chaque individu hérite d’un gène de chaque parent. Une personne avec deux gènes normaux est AA et n’est pas concernée. Une personne AS possède un gène sain et un gène muté, elle est porteuse saine. Une personne SS a hérité du gène muté de chacun de ses parents et développe donc la maladie. Il existe aussi d’autres combinaisons comme SC, qui associe un gène S et un autre gène muté (C), également responsable de symptômes. Le risque de transmettre la maladie dépend donc du statut génétique des deux partenaires », a-t-il indiqué.

Une réalité préoccupante au Togo

On estime que chaque année, entre 300.000 et 500.000 enfants naissent avec la drépanocytose dans le monde, dont 80 % en Afrique. C’est une maladie particulièrement fréquente chez les populations d’origine africaine.

Au Togo, environ 12 à 16 % de la population est porteuse du trait drépanocytaire (AS), et les anciennes études estimaient à 3,9 % la proportion de personnes atteintes des formes majeures. De nouvelles recherches suggèrent que ce chiffre se situe plutôt autour de 2 %. Des chiffres alarmants qui révèlent l’ampleur de la maladie et l’urgence d’agir.

Pour leur venir en aide, l’État a mis en place le Centre National de Recherche et de Soins aux Drépanocytaires (CNRSD), un établissement dédié à l’information et aux soins spécialisés.

Le poids d’un quotidien abîmé

Vivre avec la drépanocytose, c’est affronter des crises douloureuses imprévisibles, des séjours répétés à l’hôpital, et une fatigue constante qui empêche de mener une vie normale.

« Mon enfance a été rythmée par les absences scolaires, les hospitalisations et l’interdiction de faire du sport comme les autres enfants », confie Stéphanie, teinturière drépanocytaire avant d’ajouter : « l’harmattan, la pluie, même une petite fièvre peuvent tout déclencher. Mais la douleur ne s’arrête pas au corps. L’isolement, la honte, l’incompréhension rongent ».

Outre la douleur physique, l’impact psychologique est immense : isolement, incompréhension, sentiment de culpabilité.

« Je suis SS. Les douleurs osseuses, l’anémie, la fatigue me limitent chaque jour. En période d’harmattan ou de mousson, les crises sont encore plus fréquentes », raconte Stéphanie, le visage triste.

Face à une telle maladie, la prise en charge médicale a aujoud’hui progressé, améliorant l’espérance de vie. Mais la qualité de vie reste fragile, tant les défis quotidiens sont lourds à porter.

« Les premiers symptômes varient d’un individu à l’autre. En général, les enfants atteints de la forme SS commencent à manifester les signes de la maladie dès l’âge de 6 mois. Pour les formes SC, les symptômes peuvent apparaître entre 4 mois et 18 mois. Cette variabilité s’explique par des facteurs génétiques et environnementaux qui modulent l’expression de la maladie », précise Prof. Magnang.

La prévention : un geste d’amour

Transmise génétiquement, la drépanocytose n’est pas contagieuse. Une personne peut être porteuse du gène sans être malade. Ce sont les porteurs sains souvent ignorants de leur statut qui, en ayant des enfants avec un autre porteur, peuvent transmettre la maladie à leur progéniture.

Pour éviter la naissance d’enfants drépanocytaires, le dépistage génétique est essentiel. Un simple test, appelé « électrophorèse de l’hémoglobine », permet de savoir si l’on est porteur du gène défectueux.

« Deux parents porteurs sains (AS) ont une chance sur quatre d’avoir un enfant atteint à chaque grossesse. C’est pourquoi le dépistage est crucial, surtout avant le mariage ou toute conception », insiste le professeur.

Narcisse, étudiant atteint, confie avoir pensé au pire : « Si mes parents avaient fait le test, je ne vivrais peut-être pas ça. J’invite tous les jeunes à se faire dépister avant de s’engager ».

Le coût de l’ignorance

Une seule crise traitée peut coûter jusqu’à 60.000 F CFA, voire plus de 200.000 F en cas de complications. Le test, lui, ne coûte que 5 000 F.

« La prévention est mille fois moins chère que la prise en charge », prévient Professeur Magnang.

« Le nombre de patients ne cesse d’augmenter. Cela signifie que nos actions de sensibilisation doivent être intensifiées. Tant que les gens continuent à avoir des enfants sans connaître leur statut génétique, cela signifie que le message n’est pas suffisamment passé. Il est crucial de renforcer l’information, afin que chacun comprenne qu’il est possible d’éviter cette maladie à ses enfants », alerte le spécialiste.

Le test est rapide, fiable, et accessible dès la naissance. « Idéalement, le dépistage devrait se faire dès la naissance, surtout en Afrique où la maladie est très répandue. Si cela n’a pas été fait dans l’enfance, il est fortement recommandé de le faire à l’âge adulte, notamment avant le mariage ou tout projet de parentalité. Connaître son statut permet de faire des choix éclairés et responsables », recommande-t-il.

Un combat collectif, pas seulement médical

La lutte contre la drépanocytose ne se gagne pas seulement dans les hôpitaux seulement. C’est aussi une question de responsabilité sociale. De nombreuses Églises encouragent les futurs mariés à passer ce test. Ces églises exigent désormais un certificat médical avant de bénir un mariage. Un geste parfois controversé, mais surtout protecteur.

« C’est un acte d’amour », estime le pasteur Edoh Komi, premier adjoint au maire de la Commune du Golfe 2 et président du Mouvement Martin Luther King (MMLK).

« Mieux vaut prévenir une vie de souffrance que réparer l’irréparable », lance-t-il.

« À certains endroits, avant de bénir un mariage, il est demandé aux futurs époux de présenter un certificat médical prouvant leur état de santé », révèle-t-il. Cette précaution vise autant à protéger les couples que leurs futurs enfants.

Il a également rappelé que : « faire preuve de sagesse en exigeant des tests médicaux avant le mariage est un acte d’amour et de responsabilité ».

Une maladie évitable, une urgence de conscience

La drépanocytose n’est pas une fatalité. Elle est évitable. Le savoir, c’est sauver. Se dépister, c’est protéger. Informer, c’est briser le silence.

« Le plus important, c’est de comprendre que la drépanocytose est une maladie évitable. Il suffit de se faire dépister. Un dépistage précoce permet de mieux accompagner les patients et d’anticiper les complications. Il permet aussi d’éviter que la maladie ne se transmette aux enfants. Il est de notre responsabilité collective de faire connaître cette maladie, de briser l’ignorance et de protéger les générations futures », a fait savoir Prof. Magnang.

« Nous devons parler, sensibiliser, insister encore. Tant que des enfants naissent avec cette maladie, c’est que nous n’avons pas assez parlé », a-t-il martelé. FIN

Bernadette AYIBE