Serge Ekué : « La BOAD se doit d’être positive au regard des idéaux qu’elle porte »

Serge Ekué, président de la Banque ouest-africaine de Développement (BOAD)

Quel bilan faire des 50 ans d’existence de la Banque ouest-africaine de Développement (Boad)en termes d’engagements à l’égard des Etats et quelles perspectives pour les prochaines années ?

Serge Ekué, président de cette institution financière sous régionale, à l’occasion de la tenue de la 139e session du conseil d’administration de la banque à Cotonou, se prononce.

Vous avez présidé à Cotonou, le mercredi 20 décembre 2023, la 139e session ordinaire du Conseil d’administration de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD). Que retenir des travaux ?

C’est la 6e et dernière session de l’année 2023. Cela traduit plusieurs choses : six sessions plus le travail qui est fait entre-temps, c’est-à-dire quelques transmissions de dossiers par la consultation à domicile.

Cela traduit l’intensité du travail que réalise la Banque aujourd’hui. Les six sessions traduisent en théorie, une session tous les deux mois. Mais en réalité, quand vous enlevez les vacances, cela veut dire que nous avons quasiment une session tous les 45 jours. Chaque session nous permet d’analyser, d’étudier et d’opiner sur des dossiers qui concernent les cinq secteurs stratégiques de la Banque à savoir les sujets d’infrastructures et d’économie numérique, d’énergie et de ressources naturelles, d’agriculture, de la sécurité alimentaire, d’agro ou d’agri-business, de logements sociaux, d’immobilier, d’habitat, d’habitat social, mais également des sujets très importants qui permettent de poursuivre à terme, l’éducation et tout ce qui concerne la santé.

Nous évoquons ainsi des sujets de prise de participation qui traduisent l’engagement de la Banque à soutenir de manière capitalistique tout un tas de secteurs, que ce soit celui aérien ou bancaire par exemple. Nous intervenons également sur des sujets de gouvernance. Nous avons parlé par exemple de la création d’un Comité de risques qui viendrait de manière complémentaire conforter la façon par laquelle la Banque est gouvernée et surtout contrôler ces questions notamment le risque de crédits et le risque de concentration puisqu’aujourd’hui, nous avons un volume d’activités très important. Il faut donc que tout ceci se fasse dans un cadre de gouvernance strict par les organes que sont le Conseil d’administration, le Comité d’audit, le Comité de risque qui aura vocation à être statutaire. On sera obligé de modifier les statuts de la Banque et la nouvelle mouture desdits statuts sera présentée au Conseil des ministres demain (jeudi 21 décembre 2023 Ndlr). Voilà ainsi présenté, le volume des activités que nous menons aujourd’hui. Nous avons au cours de la 139e session, traité du budget programme de la Banque.

Nous avons également traité de tout ce qui relève des perspectives financières à réaliser. A ce propos, nous regardons sur plusieurs années, comment la Banque sera-t-elle pilotée. Quels seront les résultats, les charges, les revenus et les risques de la Banque pour se donner des perspectives ? Aujourd’hui, ce que je peux vous dire, la Boad se porte bien et très bien. Elle a bénéficié de plusieurs éléments notamment de celui qui concerne l’augmentation du capital qui lui donne aujourd’hui un confort financier et capitalistique que la Banque n’avait pas il y a quelques années.

Nous avons également examiné la question de l’admission au sein de notre Conseil d’administration, d’un nouvel actionnaire à savoir la Banque arabe pour le développement économique de l’Afrique (Badea). Ce dossier sera également présenté au Conseil des ministres. Nous faisons entrer des partenaires qui connaissent bien notre zone et l’Afrique. La Banque s’est dotée de fonds propres ; et cela a été le nerf de toutes les batailles depuis que je suis à la tête de la Banque. Nous avons un bilan qui est beaucoup plus important avec une capacité à intervenir et à financer les projets à la fois du secteur public et du secteur privé de manière plus massive. Sur l’année 2023, nous avons déployé 900 milliards de F Cfa. Dans le Plan stratégique 2020-2025, nous avons mentionné le montant de 3300 milliards de F.CFA d’engagements sur ce quinquennat. A l’heure où je vous parle, nous sommes quasiment à 2000 milliards de F.CFA. Nous avons encore 2 ans et demi pour finaliser les 2000 milliards de F.CFA.

Je suis très serein sur les capacités de la Banque à pouvoir atteindre cet objectif et ceci dans le contexte qui n’est pas le plus favorable. La résilience de la Banque n’est donc plus à démontrer. Elle a su depuis, au travers des années, des décennies et grâce à la perspicacité de mes prédécesseurs, passer toutes les crises dont celle que nous traversons aujourd’hui. Heureusement qu’elle a su se doter de fonds propres suffisants qui lui permettent de résister à toutes les crises notamment la pandémie de Covid-19 et la crise sécuritaire.

Notre souci à présent, c’est de pouvoir déployer ces capacités de manière à ce que nous puissions financer les actifs structurels, banquables et structurants pour nos économies. Il s’agit pour nous, de contribuer au financement de nos économies, d’aider à la croissance. Dans notre Plan stratégique, nous évoquions 1,5 à 2 % de croissance additionnelle que nous apportions en moyenne à la zone. Quand nous parlons de la construction de 13 à 14000 km2 de routes, cela va participer de la croissance économique. Quand nous parlons de 18 000 tonnes de Co2 économisées, cela participe d’un environnement qu’on veut plus sain pour nous et pour nos enfants. Cela fait que les populations de notre zone sont jeunes. L’âge médian, c’est 20-21 ans, voire légèrement moins dans certains pays. Il est donc important que nous participions au financement d’opérations structurantes dans les secteurs que je viens de mentionner et que nous participions à un environnement sain. 

Nous avons évoqué en outre, la question de la Responsabilité sociétale (Rse) de notre entreprise. A cet effet, nous avons parlé de notre trajectoire dans le secteur de l’énergie notamment. Il est important pour une Banque comme la nôtre, que l’on trace notre courbe de transition énergétique.

Mais ce qui se passe dans un certain nombre de pays qui ont la chance d’avoir des réserves importantes de gaz et de pétrole, nous devons regarder cela également d’un œil très réaliste.

Le réalisme veut que lorsque vous avez 50% de vos populations qui n’ont pas accès à l’énergie, la priorité numéro 1 de la BOAD, soit l’accès à l’énergie.

Nous devons ensuite travailler à ce que le coût de cette énergie soit le moins cher possible. Nous avons encore un coût de l’énergie qui est très élevé. Nous travaillons pour inverser la tendance. Ces objectifs ne sont pas incompatibles avec ceux d’une croissance durable. Dès 2021, nous avons levé sur le marché, 750 millions d’euros à un taux de 2,75 % pour financer un projet dans le cadre de la croissance durable. Voilà comment se porte aujourd’hui la BOAD. Je suis tout à fait heureux de voir que les choses avancent plutôt bien.

Quand on parle du Bénin relativement à la BOAD, quelles sont les actualités?

Le portefeuille du Bénin se porte très bien. Nous avons, lors des travaux, travaillé sur le dossier du Centre d’affaires maritimes (Cam). En termes d’engagements, le Bénin est le 3e pays dans la zone après la Côte d’Ivoire et le Sénégal. C’est une dynamique très forte. On voit que près de 80 % des engagements du Bénin portent sur les 10 dernières années. Cela veut dire que l’économie béninoise est dans une dynamique importante. Dans les 4, voire 5 secteurs sus-mentionnés, nous intervenons à plusieurs titres. En somme, les relations entre le Bénin et la BOAD sont excellentes.

En 50 ans, quelles ont été les spécificités de la BOAD ?

Je voudrais faire un peu d’histoire. A ce propos, il est à souligner qu’en 50 ans, c’est plusieurs présidents dont Pierre Claver Damiba à qui on reconnaît d’avoir procédé au premier grand regroupement dans la région. Le président Abou Bakar Baba-Moussa, tout le monde lui reconnaît d’avoir mis en place les procédures. Grâce à lui, la BOAD est une maison de process.

On reconnaît au président Yayi Boni d’avoir été le premier à avoir ouvert la BOAD à des actionnaires extérieurs et d’avoir eu les premières intuitions et tout ce qui relève de l’environnement. On reconnait au président par intérim Issa Coulibaly d’avoir accompagné ces mouvements-là. On reconnait au président Abdoulaye Bio Tchané d’avoir été loin dans la modernisation de la Banque et d’avoir sorti lui-aussi les sujets qui marquent et qui sont devenus importants. Cela n’était pas gagné d’avance.

On reconnaît à mon prédécesseur, le président Christian Adovèlandé, d’avoir eu le réflexe de l’ouverture de la BOAD aux marchés internationaux. Moi, j’arrive avec mon temps et mon expérience. Le moment qui est le mien, celui de la croissance durable, est le moment du capital et du contenu en emplois. Tout ceci, pour vous dire que mes prédécesseurs et moi, nous avons tous eu au moment où nous sommes arrivés en fonction, notre moment. Nous ne sommes que des hommes qui incarnent un moment de notre présent.

La BOAD s’est créée et s’est sédimentée avec les différents apports de l’histoire. Je voudrais souligner l’inspiration du gouverneur Fadiga d’africaniser la Banque centrale et de la délocaliser à Dakar. J’ai beaucoup d’émotions quand je parle des gouverneurs Charles Konan Banny et Ouattara. Je n’oublie pas les gouverneurs Tiémoko Koné et l’actuel gouverneur Jean-Claude Kassi Brou. Nous travaillons avec la Commission et l’Autorité des marchés financiers à créer cet écosystème financier pour financer le développement de notre zone.

Ce qui fait la spécificité de la BOAD, ce sont d’une part ses procédures et d’autre part, la connaissance intime qu’elle a du secteur privé et public. Rien ne se fait dans la zone sans que la BOAD, à un titre ou à un autre, ne soit interpellée. C’est un privilège incroyable et une responsabilité. Ce qui fait également la spécificité de la Banque, c’est qu’elle est reconnue partout dans le monde.

Elle a une notation internationale qui est de très bonne facture, puisque nous protégeons notre notation de la manière la plus jalouse possible. Elle a une notation BAA1. Cela veut dire que nous ne sommes pas loin des toutes meilleures notations mondiales. Ce qui veut dire que tout le monde s’intéresse à la BOAD. Pour qui veut s’intéresser à la zone, la BOAD est un acteur majeur. Nous travaillons main dans la main avec les ministres et la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement qui nous orientent, nous instruisent et nous rendons compte. Nous sommes un instrument du développement au service de nos organes de gouvernance (le Conseil d’administration, le Conseil des ministres et la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement). Bien évidemment, la BOAD est une maison technique, d’ingénieurs et de bâtisseurs. Nous sommes très à l’aise dans la construction et la réalisation.  

Quelles sont les perspectives pour la nouvelle année qui s’annonce ?

Quand on se projette, ce que je ressens, c’est une très forte poussée de nos pays en général. On sent une énergie incroyable, mais cela traduit une énergie que l’on voyait déjà dans les différents Plans nationaux de développement économique. Je rappelle à chaque fois le Programme d’action gouvernemental au Bénin, le Plan Sénégal émergent, le Plan national de développement économique et social en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso…

On est dans la réalisation de tous ces Plans. On sent derrière les externalités dites positives. Quand vous financez une route, naturellement, vous avez moins de poussière et c’est bon pour la santé. Quand vous financez une route que vous éclairez, on pourra mieux voir et cela enrichit les yeux. C’est cela les externalités positives.

La BOAD ne se contente donc pas de s’intéresser à des projets spécifiques. Ce qui l’intéresse aussi, ce sont toutes ces externalités positives, c’est le contenu en emplois. Il est important que nos générations soient au travail, car tant qu’elles sont au travail, elles peuvent se projeter. C’est la fin de l’année, c’est le moment idéal pour se projeter. De ce point de vue, je suis très positif. Nous espérons que les sujets sécuritaires vont se régler. Par définition, la BOAD se doit d’être positive au regard des idéaux qu’elle porte. Nous sommes toujours les plus ambitieux pour nous-mêmes, pour notre zone, pour nos pays et nos populations. Par définition, nous ne pouvons pas dire que nous ne prenons pas ce risque puisqu’on a été créé précisément pour penser ces risques.

Nous avons vocation à ne pas être barbares. Cela veut dire que quand le monde entier ne peut plus croire en nous, s’il y a encore une institution qui va croire en nous, c’est la BOAD. Entre autres, je pense aux autres institutions de la zone centrale, à la Commission et à l’Aimf. On a été créés pour cela. En toute circonstance, nous demeurons positifs sur nos économies et notre développement.

SOURCE : La Nation (Quotidien national)