Halte à la destruction des biens publics

Greffier de la Chambre des comptes

Détruire le bien public, n’est-ce pas là se rendre complice voire plus odieux que les prévaricateurs de la République dont on vilipende la conduite ?

Un grand nombre de pays africains connait depuis un moment, une recrudescence de marches et manifestations populaires à relents politiques, qui basculent bien tôt en échauffourées. Cette situation marquée par une escalade de la violence, tend peu à peu à s’ériger en norme, menaçant ainsi la stabilité et la quiétude des états, déjà mises à rude épreuve par les guerres, génocides, attaques terroristes, etc. Les cas du Bénin en mai 2019, du Togo depuis début 2020, de la Côte d’Ivoire suite à l’annonce du 3e mandat du président Ouattara ou encore du vaste mouvement de contestation du M5-RFP au Mali, pour ne citer que ceux-là, en constituent des exemples obvies.

Au-delà de la variété de ces mouvements, de leurs causes ou encore de leurs lieux de prévalence, s’ils ont une conséquence commune c’est bien les dégâts matériels qu’ils occasionnent notamment à l’encontre des biens publics (dégradation et destruction d’édifices, incendies volontaires de véhicules,des immeubles, des biens mobiliers …).

Ne pas se tromper de cible

Une analyse de cette situation nous donne de nous apercevoir que les auteurs de ces actes de vandalisme se trompent manifestement de cible. En effet, dans l’incapacité de faire
pression de manière directe sur leurs bourreaux, ils déversent le surplus de leur colère sur les édifices publics. Mais comment comprendre ces actes de vandalismes ? Détruire le bien public, n’est-ce pas là se rendre complice voire plus odieux que les prévaricateurs de la République dont on vilipende la conduite ? De plus peut-on assurer que la destruction du bien public contribue à régler les problèmes de conservation abusive du pouvoir teintée de mal gouvernance par les dirigeants au sommet de l’état ? N’est-ce pas plutôt une méconnaissance de l’importance du bien public mais aussi de l’attitude adéquate à tenir à son endroit qui conduit à ces dérives ? Il convient donc de s’interroger sur la nature du bien public.

Impossibilité de confondre bien public et propriété des hommes d’Etat

Que peut-on comprendre ou retenir du bien public

Un bien public répond à deux conditions ou critères : la non-rivalité et la non-exclusion. D’une part, la non-rivalité d’un bien signifie que sa consommation par un individu ne prive pas un
autre individu de le consommer de la même manière. D’autre part, la non-exclusion désigne le fait qu’une personne ne peut en aucun cas être privée de consommer ce bien.

Autrement dit, un bien public est un bien que chaque individu peut consommer. La consommation d’un bien public ne peut pas être individualisée, il est impossible d’en tarifer l’usage.
La majorité des biens publics sont nécessaires au fonctionnement de la société.

L’ensemble des biens publics constitue le domaine public, affecté à l’usage direct du public ou à un service public.

Tels quels, ils doivent être protégés et respectés par tout citoyen, sans exception aucune car ayant été payés ou réalisés avec la contribution de tous. C’est en effet à partir des taxes et
les impôts que nous payons, des emprunts contractés au nom de toute la nation ou des financements extérieurs, que l’Etat gagne les moyens pour acquérir ces biens.

En droit international, un Etat souverain est vu comme délimité par des frontières territoriales établies, à l’intérieur desquelles ses lois s’appliquent à une population permanente, et comme constitué d’institutions par lesquelles il exerce une autorité et un pouvoir effectif. En ce sens, l’Etat béninois désigne la terre du Bénin occupée par ses citoyens et avec ses
institutions. Sur le Plan juridique, l’Etat peut être considéré comme l’ensemble des pouvoirs d’autorité et de contrainte collective que la nation possèdesur les citoyens et les individus en
vue de faire prévaloir ce qu’on appelle l’intérêt général, et avec une nuance éthique le bien public ou le bien commun »(Georges Burdeau, Traité de science politique). En cette matière,
l’Etat, c’est la personne morale, qui représente le peuple tout entier et qui œuvre pour le bien- être social général.

Cette distinction nous permet de comprendre que les infrastructures et tout ce qui est créé ou réalisé par l’Etat constituent le bien public, notre commune propriété,et non la propriété
privée des hommes d’Etat qui eux ne sont que de passage. Une personne morale qui incarne l’autorité de l’Etat, n’est ni le bien public, ni le propriétaire de ce bien. Ainsi, manifester du
dédain pour les édifices publics, contribuer à leurdestruction en espérant ainsi faire du tort aux gouvernants, c’est tout simplement se leurrer. C’est bien plutôt renforcer la dette nationale,contribuer à la décrépitude de l’Etat, et participer peu ou pour à sa déstabilisation. Mais c’est également s’exposer aux rigueurs et sanctions de la loi.

Des peines encourues par les auteurs de vandalisme, dégradation, destruction ou pillage de biens publics

Aucune manifestation, quel qu’en soit le motif, ne devrait conduire les citoyens à détruire les biens publics. Car la destruction, la dégradation ou la détérioration d’un bien public ou privé est une infraction prévue et punie par la loi. Ainsi :

L’article 37 de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 dispose : « Les biens publics sont sacrés et inviolables. Tout citoyen béninois doit les respecter scrupuleusement et les protéger. Tout acte de sabotage, de vandalisme, de corruption, de détournement, de dilapidation ou d’enrichissement illicite, est réprimé dans les conditions prévues par la loi » ;

Les articles 812 et suivantde la Loi 2018-16 du 28 décembre 2018 portant code pénal en République du Bénin répriment ces actes par des peines allant de la réclusion criminelle à temps à la réclusion criminelle à perpétuité.

Au vu des conséquences générées par la destruction abusive des biens publics aussi bien pour la Nation que pour les vandales, il convient de repenser la désobéissance civile.

Nécessité de repenser la désobéissance civile

Nous ne saurions le dénier : il faut du courage, de la détermination, et un sursaut patriotique pour oser descendre dans les rues et s’opposer à un régime despote qui bafoue
constitution et droits élémentaires des citoyens. Seulement cette revendication nécessite d’être repensée et purifiée si elle se veut désobéissance civile.

En effet, l’un des moyens de préservation de l’Etat de droit parmi tant d’autres, n’est rien d’autre que la désobéissance civile prévue par la constitution du Bénin en son article 66 :
« En cas de coup d’Etat, de putsch, d’agression par des mercenaires ou de coup de force quelconque, tout membre d’un organe constitutionnel a le droit et le devoir de faire appel à tous les moyens pour rétablir la légitimité constitutionnelle, y compris le recours aux accords de coopération militaire ou de défense existants.Dans ces circonstances, pour tout Béninois, désobéir et s’organiser pour faire échec à l’autorité illégitime constituent le plus sacré des droits et le plus impératif des devoirs. »

Mais comme le rappelle bien Jean-Nazaire TAMA, docteur en droit public, « les Hommes épris de paix et de justice que nous sommes recommandent l’usage de la désobéissance civile en cas de ‘’remediumultimum ‘’ » (Jean-Nazaire TAMA, Le parrainage au Bénin, une gageure pour la « démocratie béninoise du moment et pour les élections présidentielles de 2021 : Mon manifeste, in La dépêche Afrique, [En ligne]). Dans ce sens, la désobéissance civile ne pourrait être, elle-même, cause de dérives et de violences. Elle doit plutôt être «un acte public non violent, décidé en conscience, mais politique, contraire à la loi et accomplie le plus souvent pour amener un changement dans la loi ou bien dans la politique du gouvernement.

En agissant ainsi, on s’adresse au sens de la justice de la majorité de la communauté et on déclare que, selon une opinion mûrement réfléchie, les principes de coopération sociale entre des êtres libres et égaux ne sont pas actuellement respectés ». (J.RAWLS, Théorie de la justice, trad. Parc. Audard, Paris, Seuil, 1987, p.405). Notons ici que l’accent est mis sur le caractère non-violent et pacifique de la désobéissance civile.

Au demeurant, quelle que soit l’injustice faite au citoyen par l’Etat, aucune possibilité ne lui est offerte par la loi pour réclamer justice par l’incivisme, la violence ou actes de vandalisme, de dégradation, de destruction ou de pillage. Partant, les infractions contre les biens publics sont pénalement répréhensibles. Il urge donc que les revendications et manifestations contre les régimes autocratiques soient repensées afin de s’inscrire dans le juste cadre de la désobéissance civile. Elle se doit d’être pacifique, respectueuse du bien public et empreinte d’esprit civique. Par ailleurs, les gouvernements gagneraient à être à l’écoute de leurs concitoyens pour éviter qu’ils aillent dans les rues. La conférence nationale des forces vives de la nation de février 1990 au Bénin ne nous a-t-elle pas en effet prouvé à quel point un dialogue inclusif des différentes composantes de l’Etat, vrai, sincère et qui ne fait acception de personne est gage de la paix ?

Cyr Maur Patinvoh

Greffier à la Chambre des comptes au Bénin