Interview exclusive de Zaouli Bi Théophile, président des réfugiés ivoiriens sur le camp d’Avépozo

Le camp d’Avépozo qui abrite des réfugiés ivoiriens connaît depuis quelques semaines, des mouvements de protestations. La tension est montée d’un cran dans la nuit du 2 au 3 mai où des tentes et l’infirmerie ont été brûlées. Pourquoi une situation morose sur le camp d’Avépozo. Qui a brûlé les tentes et l’infirmerie? Quels sont les rapports entre ces réfugiés et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR)? etc… Autant de questions posées à Zaouli Bi Théophile, président des réfugiés ivoiriens sur le camp d’Avéopzo, dans une interview exclusive à l’Agence Savoir News. Lisez.

Savoir News: Quelle est aujourd’hui, la situation sur le terrain?

Zaouli Bi Théophile:

Je pense qu’il faut d’abord parler de ce qui a amené cette situation. Pour cette année, le HCR avait promis une autonomisation des réfugiés et nous avait promis 150.000 F.CFA par réfugié: 120.000 F.CFA en espèces et 30.000 F.CFA échelonnés sur trois mois à raison de 10.000 F.CFA/mois. Tous les réfugiés avaient estimé que ce montant était insuffisant. Alors, les femmes se sont levées et ont décidé de manifester pour montrer au HCR que le montant était insuffisant. Le Coordonnateur national d’assistance aux réfugiés a dit qu’il était prêt à discuter avec les femmes, mais à condition qu’elles arrêtent leurs manifestations. Elles ont refusé de cesser les manifestations. Il est revenu une deuxième fois. Nous-mêmes, nous avons mené une démarche vers ces femmes, afin de leur expliquer qu’on n’engage jamais de manifestations sans discuter. Automatiquement, elles nous ont traités de vendus et de traitres. Elles ont estimé que nous travaillons pour l’Etat togolais.

Au fait, au lieu de parler de l’augmentation de la subvention du HCR, des vivres qui avaient été interrompues, elles parlent plutôt de voyage. C’est après qu’on s’est rendu compte qu’il y a des gens qui manipulaient les femmes dans leurs manifestations. Ils ont fait croire à ces femmes que si les choses ne vont pas sur une terre d’asile pour les réfugiés, le HRC peut les déplacer. Les manipulateurs leur ont dit de résister et de continuer, qu’il y aura la réinstallation. Ils disaient à ces femmes: +résistez, nous avons un avocat en Europe, la diaspora ivoirienne nous soutient. Nous serons réinstallés, nous avons douze Ongs à l’extérieur qui nous soutiennent (…) +.La manifestation des femmes s’est alors poursuivie avec son corollaire de rumeurs. On nous dit: +ivoiriens et ivoiriennes, les numéros HCR que nous avons sont de faux numéros, le site sur lequel nous sommes actuellement n’existe pas dans les documents du HCR. Genève a donné des instructions à Cotonou de nous donner au moins 1 million chacun, etc. +. On est allé de rumeurs en rumeurs et les femmes ont embarqué tout le monde sur le site, si bien que chaque matin, ces femmes font une liste de présence pour prendre les noms des femmes absentes, car celles qui ne viennent pas sont considérées comme des opposantes à leurs manifestations.

Pour atteindre leurs objectifs, ces femmes ont empêché leurs enfants d’aller à l’école. J’ai pris mon courage à deux mains et j’ai appelé à la radio, tous les enfants à aller à l’école. J’ai failli perdre la vie ce jour-là. Pour ces femmes, mieux vaut une année blanche, qu’une vie blanche.

Aujourd’hui le calme est revenu, mais les femmes continuent leurs manifestations, car elles croient toujours à leur voyage.

Q: Mais vous êtes le président de tous les réfugiés sur le site. Comment avez-vous géré la situation?

R: Vous savez que nous sommes des réfugiés, donc des indigents. Et quand quelqu’un dit: je vais vous emmener en Europe, il est clair que quand des gens croient en de tels arguments, vous ne pouvez rien. Moi, mon rôle, c’est de leur dire que c’est du faux. Nous sommes 3.500 réfugiés sur le site d’Avépozo et des gens ont scanné des documents qu’ils ont envoyés à leurs Ongs en prenant 1.200 F.CFA par personne, soit une somme totale de près de 4,8 millions de F.CFA qu’ils ont collectées. C’est de l’arnaque. Ensuite, ces mêmes personnes appellent la diaspora ivoirienne partout en Europe pour demander de l’aide. Les gens les aident. Ils ont même créé une Ong appelé +Sillons d’espoir+ pilotée depuis la France et ayant un relais à Accra. Donc l’argent transite par ce circuit avant d’atterrir chez les femmes sur le site.

Q: Comment analysez-vous cette situation?

R:

C’est de l’arnaque. Vous savez que quand on est pauvre, on est prêt à vendre son âme au diable. Ce qui fait que les gens sont prêts à tout, parce qu’ils espèrent un hypothétique voyage. Je vous appends que dans le groupe, il y a près de 500 réfugiés qui sont arrivés de la Côte d’Ivoire, tout simplement parce qu’on leur a dit qu’ils peuvent voyager à partir du Togo. Les gens leur ont pris 50.000 F.CFA par tête à Abidjan, sans compter les frais de voyage. Quand ils sont arrivés sur le site, ils ont encore pris chez eux 30.000 F.CFA par personne. Et ce monsieur qui a organisé cela a disparu du site. Ils ont manipulé les femmes et certains hommes et ils les ont engagés dans des manifestations sans discussions. A un moment donné, je ne savais plus dans quel monde j’étais. J’ai fait la politique en Côte d’Ivoire et j’avais du mal à comprendre qu’on engage des manifestations sans discussions. J’avais du mal à comprendre que nous sommes des réfugiés et que nous ne voulons pas discuter avec le HCR, malgré les deux visites sur le site du ministre de la sécurité. Quand le ministre de la sécurité était venu sur le site et a demandé aux femmes d’arrêter leurs manifestations et de discuter avec le HCR et qu’en cas d’échec des discussions, il viendrait lui-même. Ce jour-là, le manipulateur en chef (aujourd’hui aux arrêts) est sorti pour inviter les femmes à +résister, à aller jusqu’au bout+.

Q: Vous confirmez que le HCR a plusieurs fois, affiché son intention de discuter avec les réfugiés ivoiriens installés sur le site d’Avépozo? Et pourquoi les discussions n’ont pas évolué?

R: Si vous avez la bande de l’arrivée à Lomé de l’ambassadeur de la Côte d’Ivoire au Ghana, surtout le jour où il a rencontré la communauté des réfugiés, vous verrez que le représentant du HCR a demandé aux femmes et aux réfugiés de venir à la table de discussions et qu’il est ouvert au dialogue. Alors pourquoi les discussions n’ont pas évolué? A une discussion sérieuse, il était difficile de poser le problème de voyage. A une telle discussion, on ne pouvait que parler de l’augmentation de la subvention, or les gens avaient fait d’autres calculs. Ils veulent voyager, il leur est difficile de dire à la table de négociation, qu’ils veulent voyager. Voilà la difficulté.

Q: Vous vous reconnaissez dans le mémorandum qui a été déposé au HCR?

R:

Ce sont ceux qui sont à la base des manifestations des femmes qui ont rédigé ce mémorandum.

Q: Quel appel avez-vous non seulement à l’endroit de vos frères ivoiriens au Togo, mais aussi des togolais?

R: D’abord à l’endroit de mes frères et sœurs ivoiriens: Actuellement, nous autres avons tout perdu. Particulièrement chez moi, ils ont tout brûlé: mes diplômes, les documents de mes parents, mes documents HCR, mes vêtements, mes machines à coudre, mes caméras etc…Actuellement je n’ai plus rien. J’ai une famille, tout est parti dans les flammes. Ce n’est que mon cas. Ils ont brûlé la clinique du site, ils ont même tabassé l’une des infirmières et sa moto calcinée. Quand les gens disent que c’est la gendarmerie togolaise qui a mis le feu, ce n’est pas vrai. Le patriote, ce n’est pas celui qui soutient son frère dans le faux. Les gaz lacrymogènes ne peuvent pas brûler les tentes et les cases de manière sélective. Je dirais des gaz lacrymogènes télécommandés. On connaît ceux qui ont brûlé les tentes, puisque tout le monde cite leur nom sur le site. Comme l’enquête est en cours, nous laissons la procédure judiciaire aller jusqu’au bout.

Nous avons tout dit à nos frères, nous leur avons dit que les manifestations étaient maladroites. Ils ont refusé. Aujourd’hui, Je crois que nous sommes tous dans le regret, eux-mêmes regrettent. Nous demandons aux togolais que ce n’est pas tous les réfugiés ivoiriens qui sont dans cette affaire. Tous les réfugiés ivoiriens au Togo ne sont pas d’accord avec ce qui se passe, surtout ceux de la ville. Ils se sont carrément démarqués des manifestations. Même sur le site, certains ne sont pas d’accord et ils sont obligés de se cacher. Il faut reconnaître que la grande majorité ne se retrouve pas dans ces manifestations. C’est plutôt un groupuscule manipulé.

Je voudrais demander à nos frères togolais qui nous ont bien reçus au départ et qui continuent de bien collaborer avec nous, de nous faire confiance et de ne pas se laisser emporter par la colère. Car très sincèrement, l’ivoirien est beaucoup plus à l’aise au Togo que dans n’importe quel autre pays. Nous demandons tout simplement pardon à la communauté togolaise. Nous remercions le président de la république Faure Gnassingbé, car lorsque nous sommes venus à Lomé, il nous a donnés le statut direct de réfugiés, nous ne sommes pas passés par la demande d’asile, comme le cas dans tous les autres pays. Nous remercions aussi le ministre de la sécurité qui a été vraiment très patient, il a bien voulu discuter avec nous. Il nous a aussi donné de conseils. Nous remercions aussi le Coordonnateur national d’assistance aux réfugiés qui nous donné assez de conseils. Tous ceux- là ont été très bien avec nous et nous ne pouvons pas leur rendre la monnaie de cette manière. FIN

Propos recueillis par Junior AUREL

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