Réconciliation nationale: Fin à Sokodé des audiences, 64 dossiers examinés par la CVJR

Démarrées jeudi dernier, les audiences publiques privées et à huis clos ont pris fin ce mardi à Sokodé (environ 375 km au nord de Lomé), avec à la clé, 64 dossiers examinés par la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR), a constaté un envoyé spécial de l’Agence Savoir News.

Ces dossiers sont relatifs aux événements liés aux troubles sociopolitiques orchestrés par des militants de partis politiques, aux violences intercommunautaires suivies de déplacements massifs de populations, aux abus d’autorité, aux exactions des éléments des Forces Armées Togolaises et des agressions physiques ayant entraîné des pertes en vies humaines, aux décès du Dr Abdoukarim Boukari en 1969 et de l’ex-ministre et fonctionnaire des Nations Unies Djobo Boukari en 1997, à la détention et au décès des militants de l’opposition à Blitta en août 1994, et aux violences liées à la présidentielle du 24 avril 2005.

La séance de ce mardi a été spécialement consacrée aux derniers témoins et victimes des violences électorales de, des exactions sociopolitiques et autres événements, ainsi qu’à des droits de réponse sur requête.

Six victimes et témoins ont été auditionnés pour divers sujets relatifs aux violences sociopolitiques avec destructions de biens meubles et immeubles à Sokodé en 1991, aux violences intercommunautaires avec déplacements de populations à Bodjé en 1991, aux violences liées à la présidentielle de 2005, à la mort de Djobo Boukari en 1997, ainsi qu’à divers abus d’autorité.

S’agissant du droit de réponse exercé par certaines personnes citées au cours des audiences publiques antérieures, la Commission a écouté douze 12 témoins venus livrer leurs versions des faits exposés dont des cas de violences liées à la présidentielle de 2005 à Mango, à la mort de Djobo Boukari, à l’imamat de Bafilo et à des cas d’abus d’autorité à Kara.

Quelques témoignages

Pour Tchalla Koffi Mawouéna, membre du Comité villageois de développement (CVD), c’est au cours d’une réunion dans la maison du président de l’UFC à Blitta Gare, que les jeunes militants du RPT ont commencé à piller des maisons.

« Tout a été détruit, après la publication des résultats. Des milices du RPT nous ont frappés et ont saccagé nos biens. Alors j’ai fui de Blitta Gare jusqu’à la route nationale N°1. C’est après l’enquête de Kokou Koffigoh que j’ai pu regagner Blitta Gare. Les menaces continuent toujours à Blitta Gare et les opposant sont considérés comme des traîtres », a-t-il souligné.

C’est Komossi Yaou Mabafèyi, enseignant à Bodjé qui a ouvert la série des droits de réponses. Il a reconnu les cas de violences et d’exactions suivies de déplacements des populations, mais n’a pas confirmé que c’est à cause du partage d’une galette entre les jeunes enfants que les violences ont commencé à Bodjé, comme certains victimes et témoins l’avaient affirmé au cours des audiences publiques de Kara.

« C’est au cours d’une réunion à Adéta, en présence de Kokou Koffigoh que les populations autochtones ont décidé de nous chasser, nous autres Kabyè pour le nord. Ayant appris la nouvelle, j’ai informé les siens. Mais après, un collègue de service m’a menacé de mort et m’a dit qu’il va me tuer lorsque les autres Kabyè vont partir. C‘est le lendemain que les réelles menaces ont commencé. Ayant vu l’ampleur des choses, j’ai dit à ma femme d’arranger nos choses pour qu’on rentre chez nous. On a brûlé ma maison à Bodjé », a-t-il indiqué.

Le ministre Okoulou Kantchati Issfou, considéré au cours des audiences publiques de Dapaong du 24 septembre 2011, comme instigateur des violences survenues à Mango, au cours de l’élection présidentielle de 2005, a dépêché, Nana Mama, député à l’Assemblée nationale pour présenter un droit de réponse de ces accusations en son nom.

« Je dénonce des accusations grotesques et graves. Le 24 avril 2005, nous étions en visite à Barkoissi quand nous avions été informés des violences déclenchées dans le quartier Djabou à Mango (…) », a-t-il précisé.

Selon lui, il y a également des causes lointaines de ces violences : « Les causes lointaines de ces violences sont liées à des problèmes fonciers entre les clans Dozos et Ndjé. Les manifestants provocateurs venaient du clan Ndjé. Cette affaire a été portée devant les juges et l’affaire a été tranchée. Dire que nous avons soudoyé les juges ne sont que de fausses allégations et nous comptons porter plainte devant les juges ».

Djobo Lawouda, docteur pharmacien est revenu sur l’assassinat de son père El Hadj Djobo et de sa mère Tchassanti Adisétou, tous deux accusés d’avoir empoisonné le ministre Djobo Boukari.

« Entre Djobo Boukari et mon père Fousséni Djobo, il n’y avait pas de problème. Mais à la mort de notre oncle, mon père n’était pas convié à la réunion. C’est en ce moment qu’une femme a commencé à dire que celui qui l’a tué doit être aussi assassiné. Certainss sont rentrés dans la maison. Voyant le danger, mon père s’est caché dans une autre maison. Ma mère s’est également cachée dans la maison d’un oncle. Les gens ont suivi mon père et l’ont abattu froidement. Ma mère a été aussi sortie de sa cachette. Elle a été tuée et calcinée. Le lendemain, nous avons ramassé le reste de notre maman pour l’enterrer », a-t-il raconté, l’arme à l’œil.

Djobo Lawouda a souhaité, pour toute réconciliation, que des offices religieux soient faits pour sa mère: « Il faudrait également qu’elle soit blanchie de cette histoire de sorcellerie. Ensuite qu’on se retrouve entre Djobos et que des gens reconnaissent leurs erreurs. Nous autres, fils de Djobo Fousséni avions décidé de pardonner, mais nous ne l’oublierons jamais ».

Une délégation venue de Bassar s’est également présentée pour donner un droit de réponse, suite au décès de Kolobh, Kokou un activiste du RPT tué à Bassar, selon la version de la fille du défunt, par des partisans de l’opposition dans la cour de sa maison.

Selon Nakpane, un retraité, c’était en mai 1992 que Gilchrist Olympio devait venir à Bassar et tout le monde l’attendait. Et c’est ce jour que les milices du RPT ont choisi pour perturber l’arrivée du leader de l’UFC.

« Les milices du RPT de Bassar, avaient bien reçu le soutien du fils d’Eyadéma Ernest Gnassingbé. Ils ont payé de l’essence pour brûler des pneus, afin de perturber et de mâter les partisans de l’opposition. J’ai vu ce jour-là Kolobh Kokou partir au champ avec son fusil. On s’est même salué. Quand la fille de Kolobh a dit qu’on a sorti son papa de sa chambre pour le tuer, c’est faux. On était allé le chercher au champ, mais avec son fusil. Il tirait sur les jeunes de l’opposition. Il y avait eu 9 morts et des blessés qu’on a amenés à Sokodé. Moi-même j’ai été blessé ce jour-là par les miliciens du RPT », a-t-il affirmé.

Il a par la suite, déclaré que c’est le fait qu’il a commencé à tirer sur des gens faisant des morts qui a révolté les jeunes qui l’ont tué.

« Même après la mort de Kolobh Kokou, ses deux fils armés de fusils ont tué deux jeunes. Par la suite, Ernest Gnassingbé est aussi venu avec sa troupe pour mâter les populations de Bassar », a-t-il révélé.

Réaction de la CVJR

La Commission a déploré toutes les violences exercées au nom de l’appartenance à tel ou tel parti politique, du processus démocratique et des conflits fonciers qui divisent des communautés liées par l’histoire du peuplement de notre pays. Elle rappelle que tous les témoignages recueillis dans les 20 011 dépositions seront pris en compte y compris ceux des 2.739 dépositions de la région centrale pour des recommandations au gouvernement.

La CVJR a exprimé ses remerciements aux populations qui se sont déplacées pour témoigner ou assister aux audiences, aux autorités administratives, à tous les médias, à toutes celles et à tous ceux qui nous ont accueillis à l’étape de Sokodé.

Après Sokodé, les membres de la CVJR sont attendus à Atakpamé (environ 175 km au nord de Lomé) où les audiences doivent démarrer jeudi prochain.

Dans cette localité, les audiences seront consacrées aux violences politiques de 1958, aux législatives de 1961 et aux arrestations qui s’en sont suivies, aux déplacements des populations, aux incidents intercommunautaires entre Akébou et Akposso dans les années 1991/ 1992 et à d’autres cas de violations des droits humains et violences à caractère politique survenues dans notre pays.

Rappelons que les audiences de la CVJR sont consacrées à la recherche de la vérité sur les violences électorales et autres violations des droits de l’homme qui sont survenues dans notre pays entre 1958 et 2005 dans le cadre des séances publiques, à huis clos et privées qui donnent la parole aux victimes, témoins et aux auteurs présumés.

De Sokodé, Nicolas KOFFIGAN

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