Poursuite des audiences de la CVJR à Sokodé: Quand des révélations sur des cas de violences, suivis de morts à Agbandi et à Sokodé font froid au dos

L’ambiance était un peu particulière ce lundi à l’Hôtel Central de Sokodé (environ 375 km au nord ed Lomé) où se déroulent les audiences de la Commission Vérité, justice et Réconciliation (CVJR). Toute l’assistance avait eu froid au dos lors des témoignages et révélations sur des cas de violences, suivis de morts à Agbandi et à Sokodé, constaté un envoyé spécial de l’Agence Savoir News.

Au total 18 auditions ont été consacrées à trois dossiers:

1 – L’arrestation et la détention des militants de l’opposition, originaires d’Agbandi et de Diguina, dont une vingtaine de militants sont décédés pendant leur garde à vue à la gendarmerie de Blitta;

2. – Les violences électorales liées à la proclamation des résultats de la présidentielle du 24 avril 2005 ;

3 – Les persécutions contre un fonctionnaire enseignant, originaire de Bassar.

Les témoignages les plus poignants, ayant plongé toute la salle dans la tristesse sont ceux relatifs aux exactions et violences suivies de morts d’hommes dont les populations, en majorité, les jeunes des villages de Diguiti et d’Agbandi ont subies, en août 2003, au cours de la dernière élection présidentielle organisée par le régime du feu Gnassingbé Eyadéma et des violences au cours de l’élection d’avril 2005.

La quarantaine de personnes arrêtées à Diguina et à Agbandi l’ont été à la suite de la destruction d’urnes pour protester selon elles contre leur non inscription sur la liste électorale et le bourrage des urnes.

Il ressort de leurs déclarations qu’elles ont subi des mauvais traitements avant d’être évacuées sur Blitta pour y être détenues dans une cellule exiguë. C’est à la suite de cela qu’une vingtaine d’entre elles sont décédées et furent enterrées en un lieu demeuré inconnu à ce jour. Cette thèse est contestée, car selon une autre version fournie par les gendarmes, l’empoisonnement serait la cause de ces décès.

Quant aux violences électorales de 2005 consécutives à la proclamation des résultats, elles sont d’abord le fait de militants politiques y compris d’éminentes personnalités de tous bords, de Sokodé et de ses environs, qui se sont affrontés à armes blanches et armes de guerre.

Les interventions des forces de l’ordre envoyées sur les théâtres des émeutes auront contribué à la recrudescence des actes de violences dont le bilan est éloquent : vandalisme, destruction de biens publics et privés, coups et blessures, et au moins un mort par balles.

Dossou Yawo, cultivateur, est l’un des rescapés de ces exactions et violences. Selon lui, c’est sous l’ordre du commandant Tchassama, que les jeunes des villages d’Agbandi et de Diguina, ont vécu l’enfer. Bilan: 27 morts par asphyxie, puisque 41 jeunes ont été confinés dans une cellule d’une capacité d’au plus 10 personnes.

« Lors des élections présidentielles de 2003, je faisais partie de ceux qui ont cassé les urnes, parce qu’on était pas d’accord avec les résultats et surtout la manière dont les urnes avaient bourrées. Le lendemain, les militaires nous ont arrêtés. On était au total 23. Dans la voiture qui nous amenait d’Agbandi à Blitta, les militaires ne faisaient que nous taper. On nous a enfermés dans une cellule qui ne peut pas contenir dix personnes. Le jour-là, on suffoquait et on criait. Vers 18 heures, ils ont fait sortir le chef du village également arrêté. Aux environs de 23 heures, les cris ont diminué, parce que nos camarades étaient tous morts. Les militaires nous ont ordonné de mettre nos amis morts dans un titan: direction Sokodé », a-t-il révélé la gorge serrée.

« Nayo, le préfet d’alors de la ville de Blitta, qui n’était pas d’accord avec les exactions et violences subies par les jeunes, a manifesté son mécontentement devant les militaires qui l’ont pris par la colle. Ils l’ont tabassé devant nous. Arrivés à Sotouboua, presque tous les Kabyè étaient sortis pour demander aux militaires de nous libérer, mais les militaires n’ont pas accepté. A Sokodé, les chauffeurs ont refusé tous de nous amener à Kara. Ensuite, le lundi, on nous conduit au tribunal de Sokodé. Nos 27 frères morts asphyxiés dans la cellule, ont été acheminés à Sokodé et enterrés sans la présence de leurs parents », a-t-il affirmé, mettant toute la salle, y compris même certains membres de la commission en larmes.

Soussou Komlan, chef du village de Diguina dans la préfecture de Blitta, arrêté comme les jeunes de son village, a vu dans la même cellule, son fils mourir. C’est avec larmes aux yeux qu’il a demandé que le tombeau de son fils et des autres enterrés soient montrés aux parents.

« A l’approche des élections, on a distribué des cartes et les citoyens identifiés comme faisant partie de l’opposition n’en ont pas reçues. On sentait une tension dans le village et j’ai gongonné invitant la population à chercher de refuge, car les militaires avaient envahi le village. Le lendemain matin, ils sont venus arrêtés les jeunes. Les militaires sont rentrés dans des maisons pour arrêtés les jeunes. Ils ont frappé mes enfants, y compris les enfants que j’hébergeais chez moi. Ils m’ont conduit dans ma chambre où ils ont vu des photos des leaders politiques de l’opposition. Ils les ont déchirées. J’avais des fûts de Sodabi, ils ont bu et cassé le reste », a-t-il poursuivi.

« On nous a ensuite emmené à Blitta. On a été tous déshabillé et avant de rentrer dans la cellule, on a reçu beaucoup de coups. Ils nous ont mis dans une cellule qui ne peut contenir que 10 personnes, or on était 41. Vers minuit, des jeunes commençaient à mourir faute d’oxygène. On a vraiment souffert à Blitta. Au total 27 personnes étaient mortes asphyxiées », a-t-il raconté, mettant toute la salle dans l’émoi et la consternation.

Opekou Kokou Atchou, tailleur à Agbandi, est également l’un des rescapés de ces exactions et violences. Mais ce dernier n’a pas pu terminer ses propos puisqu’il ne voulait plus se rappeler des « souffrances ».

A l’analyse, la CVJR dans un communiqué, a déploré une fois encore que l’appartenance à tel ou tel parti politique, ait donné lieu à des persécutions dès les premières consultations électorales pluralistes dans notre pays, persécutions qui se sont poursuivies jusqu’à l’élection présidentielle de 2005 où le déchaînement de la violence électorale a atteint son apogée dans notre pays.

La CVJR a « déploré ces violences sous toutes leurs formes et présente une fois encore sa compassion aux familles éplorées ».

Elle a souligné que l’appartenance politique n’est pas un délit et que les citoyens sont libres d’exercer leur droit de militer au sein des partis de leur choix, sans avoir à redouter des représailles.

Les audiences se poursuivent mardi et seront consacrées de nouveau aux violences électorales de 2005 et à des dossiers sur requête.

De Sokodé, Nicolas KOFFIGAN

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