Interview exclusive de Kodjo Agbéyomé, le président de l’OBUTS

L’Organisation pour bâtir dans l’Union un Togo Solidaire (OBUTS, opposition) de l’ancien Premier ministre Agbéyomé Kodjo a soufflé le 13 Août ses trois bougies, anniversaire célébré dans l’allégresse à Kpalimé (environ 120 km au nord de Lomé). L’Agence Savoir News s’est rapprochée de M.Kodjo pour un bilan des activités menées. Le président national a également abordé d’autres sujets dont le prochain dialogue national.

Savoir News: L’OBUTS a soufflé le week-end dernier, ses trois bougies. Quel bilan faites-vous aujourd’hui, après trois années d’existence (les grandes lignes).

Agbéyomé Kodjo

: Le bilan est loin d’être satisfaisant même s’il apparaît globalement positif. D’abord nous avons survécu à toutes les forfaitures politico-juridiques et existons toujours en tant qu’acteur politique bien structuré et implanté, prenant part au débat national, résolument engagé dans la lutte pour une meilleure gouvernance politique, l’instauration d’une société de confiance et démocratique, de même que la prospérité partagée sur la Terre de nos Aïeux. Ensuite avec le CVU que nous avons fait émerger au cœur de la Résistance citoyenne le 19 mars 2010 suite au sacre de la contre vérité des urnes lors de la dernière présidentielle, nous pesons dans le débat politique et dans la lutte pour l’enracinement de l’éthique au cœur de l’action politique au Togo en étant alerte sur les orientations risquées de la politique désuète proposée par Faure Gnassingbé et la Nomenklatura. Notre offre politique est claire et participe d’une vision novatrice, ce qui a fédéré les togolaises et les togolais autour de nos propositions. Notre plus grand regret à ce jour reste le manque de cohésion et de vision stratégique au sein de l’opposition pour constituer un véritable front commun sur des bases contractuelles et consensuelles claires afin de mettre fin à l’indicible désespérance de nos populations.

Savoir News: Dans toute structure regroupant des Hommes, il y a toujours de petites failles. Qu’est-ce qui n’a pas marché au sein de l’OBUTS durant ses trois ans d’existence?

Agbéyomé Kodjo: Dans toute formation surtout aussi jeune que la nôtre, le déficit de culture civique et politique au niveau de l’encadrement a failli couter très cher à notre formation qui incarne une grande espérance dans le pays. Mais la cohésion est revenue très rapidement après la tempête provoquée par certains à l’instigation de ceux pour qui OBUTS est une hantise permanente. Des mesures ont été prises pour combler ces lacunes pour mieux affronter les défis de notre engagement : faire de la Terre de nos Aïeux une terre d’espérance, d’humanité et de prospérité partagée.

Savoir News: Ancien Premier ministre et ancien président de l’Assemblée nationale, vous étiez l’un des « pionniers » du Rassemblement du Peuple Togolais (RPT), le parti au pouvoir. Aujourd’hui, vous vous retrouvez face à ce régime en qualité d’opposant. Est-il facile d’être un opposant politique?

Agbéyomé Kodjo: Ce n’est pas facile de se séparer du RPT. Quand on entre dans cette formation politique, on y reste pour une vie. Quand on prend le risque d’une rupture, on est traqué comme un fauve, et on risque d’y perdre la vie. J’ai pris le risque et j’en subis les conséquences. Mais ce qui m’anime est plus fort que le confort de mon frêle égo : c’est le bien-être de toutes les filles et de tous les fils du Togo tout entier, l’enracinement de la démocratie et l’effectivité de la prospérité partagée. A mon sens, cette vision d’un Togo débarrassé de ses oripeaux est un levier beaucoup plus puissant que les mesquineries politiques de ceux qui sont restés dans une bulle et ignorent que l’évolution est immanente à la vie, et que le refus d’épouser les lois de l’Univers les condamne à une misérable et inexorable disparition. La preuve est la mort programmée du RPT, ce n’est que le début car le plus difficile reste à venir !

Savoir News: Vous connaissez très bien le système en place pour ne pas dire que vous avez été à l’Ecole du RPT. Pensez-vous que l’opposition togolaise manque de stratégie? Si oui, que faut-il aujourd’hui pour cette classe politique ?

Agbéyomé Kodjo: Vous avez raison. Mais le RPT se maintient essentiellement au pouvoir par la violence, l’achat des consciences et la contrevérité des urnes. Face à une telle posture, il n’y a qu’une solution qui vaille : l’union sacrée des forces de l’alternance et du changement démocratique. Il est évident que l’enjeu de l’union de toutes ces forces doit être celui de l’ouverture face à celui de l’emmurement autistique. Dans ce contexte, les déchirements actuels au sein de l’opposition me paraissent suicidaires pour l’avenir de la Nation. L’heure du dépassement de soi a sonné et chacun doit montrer sa bonne foi, démontrer par des actes concrets qu’il est résolument engagé à combattre et à se débarrasser de la machine mortifère qui régente notre quotidien et hypothèque l’avenir de toute la Nation. Nous sommes plus que jamais à ce tournant précis de l’histoire politique mouvementée du Togo au rendez vous du Courage et de la Vérité !

Savoir News: En matière de lutte politique, quel opposant politique admirez-vous au Togo ou en Afrique?

Agbéyomé Kodjo: Je pense plutôt à Nelson Mandela. Il incarne un modèle iconoclaste intemporel et sans frontière qui incarne les valeurs que devraient avoir ceux qui s’engagent à investir le champ politique pour apporter de l’espérance à leurs concitoyens.

Sacrifier sa vie pour une cause noble et parvenir au pouvoir démocratiquement et l’abandonner librement après l’avoir exercé au terme d’un mandat est un évènement rarissime en politique ! En Afrique, l’inclinaison naturelle consiste à voir les chantres de la contrevérité des urnes user de tous les subterfuges pour s’éterniser au pouvoir au prix de vies humaines et de fracture sociale.

Pour moi, Nelson Mandela est l’incarnation vivante du modèle d’homme politique dont l’Afrique a besoin pour se construire et se mettre à l’abri des drames qui contribuent à l’aliénation et au marasme du plus vieux continent qui a civilisé l’Humanité.

Savoir News: Le gouvernement a réaffirmé vendredi dernier à l’issue d’un conseil des ministres, sa volonté de « maintenir le dialogue avec l’ensemble des acteurs politiques et sociaux ». Le parti OBUTS est-il prêt à aller aux discussions?

Agbéyomé Kodjo: Il n’y a pas de raison à se dérober à prendre part à des débats qui engagent l’avenir de la Nation. C’est depuis le 25 mars 2010 que nous avons interpellé Faure GNASSINGBE à travers une lettre ouverte du CVU sur la nécessité d’un dialogue politique pour sortir le Togo de sa longue crise aggravée par le sacre de la contre vérité des urnes lors de la présidentielle du 04 mars 2010. Nous n’avons pas été entendus, et comme réponse à notre refus motivé de participer au Gouvernement de Large Ouverture et de Grande Compétence en raison de la non satisfaction des préalables exigés, on a instrumentalisé certains de nos militants pour assigner en justice aux fins de dissolution notre formation politique.

Il n’est jamais trop tard pour entendre raison, et j’ose croire que Faure Gnassingbé l’a finalement compris ! Il y va de sa propre survie politique ce d’autant plus que son pouvoir est plus que jamais affaibli et discrédité avec les derniers développements de l’actualité politique notamment l’impunité des incessants crimes politiques et économiques, la violence d’Etat comme réponse face à l’ ébullition du front social en raison de la désespérance sans précédent dans le pays, l’instrumentalisation de la justice avec l’inique condamnation du premier Ministre Adoboli, et la récurrente violation des droits humains et constitutionnels amenant actuellement à la condamnation internationale.

Je souhaite que le prochain dialogue n’en soit pas un de plus, car il est constant depuis la Conférence Nationale Souveraine que les accords et les engagements avec le RPT ne sont que des marchés de dupes. Quand tout semble avoir été conclu, le pouvoir continue de gouverner comme par le passé, l’opposition désemparée continue de s’opposer par des balbutiements de condamnations médiatiques, ou à travers des protestations sans lendemain, et la communauté internationale prend acte tandis que la population abandonnée à son triste sort, s’en remet fatalement à Dieu.

Pour illustrer mes propos, je citerai deux exemples récents. Celui d’une part du sort réservé aux recommandations de l’APG depuis 2006, et d’autre part celui signé avec tant d’histrionisme en mai 2010 avec Gilchrist Olympio, l’opposant historique devenu le partenaire de référence de Faure Gnassingbé. Le Togo a de sérieux problèmes de gouvernance. Il ne peut s’en relever qu’avec une majorité d’hommes et de femmes visionnaires et courageux, qui épousent l’éthique politique et transcendent les clivages politiciens stériles pour résolument œuvrer ensemble à la mise en place d’un nouveau contrat social, à même de créer la confiance nécessaire pour le retour d’une véritable solidarité partagée, la cohésion sociale et la paix, conditions indispensables pour une véritable relance socioéconomique et politique en vue de la prospérité partagée sur la Terre de nos Aïeux.

Savoir News: Certaines formations ont souvent l’habitude de poser des préalables. Pensez-vous que l’heure est encore aux préalables?

Agbéyomé Kodjo: Consciente des entourloupes du RPT et vu l’ampleur de la désespérance sociale actuelle dans le pays, contrairement à mai 2010, OBUTS ne fait plus des préalables à l’endroit du pouvoir l’exigence fondamentale pour prendre part au dialogue annoncé. Les stratèges du RPT comptent sur les atermoiements de l’opposition pour justifier leur inique gouvernance aux yeux de la communauté internationale qui fait pression sur eux. De surcroît, la misère déshumanisante toujours grandissante que rencontre le Peuple togolais recommande que nous tentions tout ce qui est en notre pouvoir pour inverser le cours de la politique conduite par Faure Gnassingbé et la Nomenklatura. Fort de cette lecture, OBUTS pense qu’il faut acculer le RPT en mettant à rude épreuve sa bonne foi dans son jeu actuel en sautant le verrou des préalables. Par contre le préalable s’impose du côté des forces de l’alternance et du changement démocratique, ce serait sans aucune hésitation la mise en place d’une plate-forme commune avant l’ouverture du dialogue. Il est d’un impératif catégorique que l’opposition puisse tirer les leçons de ses échecs répétés en mettant en place sans délai une commission ad hoc avec l’appui de la société civile et de la diaspora pour élaborer un projet de feuille de route permettant une bonne coordination des positions sur les sujets fondamentaux qui engagent l’avenir de la Nation. Ce n’est qu’à cette condition que le Peuple togolais sortira vainqueur de ce énième dialogue, en contournant la duplicité et les viles pièges sans fin de la dictature néocolonialiste du RPT, et mettre ainsi fin aux cycles infernaux de dialogue infructueux initiés depuis 1992.

A mon humble avis, le Togo est en état d’urgence politique, économique et sociale, et il faut une réanimation qui suppose une action urgente de précision. Mais encore faut il, à voir les forces obscures coalisées contre notre peuple, que cette réanimation s’entende au sens étymologique du terme, re-animus à savoir rendre l’âme au malade et guérir le corps, ce qui suppose faire régner l’Esprit de Dieu sur la Terre de nos Aïeux et préserver ce qui reste de l’Etat afin d’espérer son retour dans le concert des Nations en tant qu’ « Or » de l’humanité.

C’est cette compréhension du mal togolais qui fonde chez OBUTS depuis la fin du Congrès de la Renaissance du parti le 15 janvier 2011, la position basse dans son orientation politique actuelle arrimée à une démarche spirituelle (proclamation du 26 de chaque mois comme journée de prière et de jeûne pour le Togo) et une démarche matérielle (action politique mesurée), car sans la dynamique de l’action conjuguée, la sortie de crise risque d’être un leurre et le Peuple togolais ne saura le pardonner aux leaders de l’opposition!

Propos recueillis par Junior AUREL

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