Bénin: Transformer localement la noix de cajou, pour ne rien en perdre (REPORTAGE)

Le ballet des semi-remorques et des voitures bâchées qui entrent et sortent de l’usine Fludor de Zogbodomey, à deux heures de route de Cotonou, est incessant: la saison du cajou a commencé en mars et il en arrive des tonnes, chaque semaine, dans des sacs en toile de jute.

Sur ce marché concurrentiel dominé par l’Inde (25% des 2,2 millions de tonnes de production mondiale), le Bénin est un des principaux producteurs du continent africain avec 100.000 tonnes récoltées sur les deux dernières campagnes.

Mais comme le reste des producteurs africains (Côte d’Ivoire, Nigeria, Guinée Bissau), le Bénin exporte la grande majorité des noix sous forme brute, principalement vers l’Inde: un manque à gagner considérable, puisqu’une fois transformée sa valeur passe de 5.300 dollars la tonne à quelque 9.000 dollars, selon le cabinet de statistiques agricoles Planetoscope.

Elu en 2016, le président Patrice Talon, bien décidé à changer la tendance en favorisant la transformation locale, en a fait un des secteurs prioritaires via son programme agricole « Cajou demain ».

Mais l’amande n’est pas le seul élément dont on peut tirer profit. La partie que l’on mange ne représente que 22% de la noix, dont le reste est traditionnellement jeté.

Une dizaine d’entreprises locales, dans le nord et le centre du Bénin, utilisent déjà les pommes de cajou, le pédoncule charnu, de couleur jaune à rouge, qui se trouve au-dessus des noix, pour les transformer en jus de fruits.

Longtemps artisanale, la production se formalise depuis deux ans en unités de production standardisée avec l’appui de l’ONG américaine Technoserve et est passée de 30.000 bouteilles en 2017 à 200.000 en 2018.

De son côté, l’usine Fludor, filiale du géant nigérian de l’agro-alimentaire TGI (Tropical General Investments Group), veut aller encore plus loin avec la fabrication d’un nouveau produit dérivé: le baume de cajou (Cashew Nut Shell Liquid, CNSL en anglais).

« La coque contient à 20% un liquide acide dont on ne savait pas quoi faire », explique Roland Riboux, PDG de l’usine.

« Soit on l’enterre, ce qui est mauvais pour le sol et la nappe phréatique, soit on le brûle », explique ce Franco-béninois installé à Cotonou depuis plus de 20 ans, par ailleurs président du Conseil des investisseurs privés au Bénin.

Et pourtant cette huile a de nombreux atouts. Selon le site du Conseil indien de promotion de l’export du cajou, elle est résistante, déperlante, antimicrobienne et végétale.

Elle remplace des produits chimiques et a de nombreux usages industriels: dans certaines peintures, des systèmes de freinage, dans l’aéronautique et même dans l’industrie pharmaceutique.

   – Technologie –

L’unité de fabrication du baume de cajou occupe une petite partie de l’immense usine de 15.000 m2 où grondent en permanence les machines qui tournent à plein régime.

Dans cet entrepôt très haut de plafond, un tas de coques brunes attend d’être traité face à un assemblage métallique de plusieurs mètres.

Les coques arrivent là après avoir été séparées de la noix dans l’usine de transformation adjacente. 600 femmes, recrutées dans les environs, y travaillent à décortiquer, trier, enlever la pellicule autour de l’amande.

Les installations semblent rudimentaires mais la technologie n’est pas facile à maîtriser. Vinod Kumar, ingénieur indien spécialisé dans le CNSL, est venu au Bénin l’an dernier pour superviser l’unité.

« On a commencé avec trois tonnes d’huile par jour et actuellement, on est à 10 tonnes avec 30 à 40 tonnes de coques. Notre objectif est de produire 15 tonnes, la capacité maximale ».

L’entreprise compte sur la croissance de la demande mondiale, notamment en Inde, au Japon ou en Chine, pays qui utilisent déjà cette matière première dans leurs circuits industriels.

Et comme rien ne se perd, les restes de coque sont emballés dans de grands sacs en plastique entassés sur plusieurs mètres de haut. Chargés dans des camions, ils seront vendus comme combustible 18.000 FCFA la tonne (27 euros) à des entreprises béninoises.

« C’est un moyen supplémentaire de garder la valeur ajoutée chez nous », souligne Roland Riboux.

L’usine compte bien généraliser cette multi-transformation du produit agricole. Mais pour cela, il faut changer les mentalités dès le premier échelon de la chaîne.

Aussi depuis cette année, elle s’approvisionne directement auprès de coopératives de l’Atacora et de la Donga, deux départements producteurs d’anacarde dans le nord du pays, et plus seulement via des intermédiaires qui font le tour des petits producteurs.

« Nos producteurs commencent à se rendre compte que ce ne sont plus seulement les amandes que les gens recherchent. C’est important de leur montrer ce que ça devient », témoigne Barbara Macon, responsable du programme durabilité des filières à Fludor.

L’usine traite les coques qu’elle génère et achète également celles des deux autres gros transformateurs du pays.

« Avec cette unité, nous pourrons transformer toutes les coques du Bénin », s’enthousiasme Vidor Kumar.

SOURCE : AFP