Avec les doigts ou à la cuiller, le Thiébou dieune sur la carte culinaire de l’humanité

Un plat de thiébou dieune

A « la Saint-Louisienne » à Dakar, le plat du jour est le Thiébou dieune. Une journée a priori ordinaire, et la propriétaire ignorait avant de commencer à le préparer que l’Unesco venait d’en consacrer la tradition en l’inscrivant au patrimoine de l’humanité.

Thiané Ngom, 53 ans, la patronne de ce petit restaurant dans un quartier populaire de la capitale sénégalaise, s’est levée tôt pour se ravitailler au marché du coin en ingrédients nécessaires à la confection du Thiébou dieune, littéralement riz au poisson en langue wolof.

L’horloge affiche 10H00 et déjà sa cuisine défraîchie par le temps se colore au panier de la ménagère:  carottes, aubergines, choux blancs, oignons, ails, poisson, patates douces, navets, poivrons sont nettoyés et apprêtés dans divers ustensiles.

La liste des composants est aussi longue que le temps de cuisson: trois heures.

Thiané Ngom a la patience d’une rompue à la tâche.

Depuis 25 ans que son restaurant est ouvert, le Thiébou dieune n’a jamais manqué sur la carte. Parfois, un autre plat lui dispute les faveurs des clients, pour beaucoup des travailleurs du quartier.

Ce matin, sa fille Naboussarr, 10 ans, et son amie Aguette, 13 ans, jouent les assistantes cuistos quand elles ne font pas défiler des vidéos musicales sur TikTok.Le son du mbalax se mélange au crépitement des oignons dans l’huile.

Dans le brouhaha, au milieu des louches, du mortier et du pilon, Thiané Ngom apprend que l’Unesco vient d’inscrire le Thiébou dieune au patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

Son visage s’éclaire. « C’est une fierté pour moi, pour nous les Sénégalais, qu’il soit ainsi mondialement reconnu », dit-elle en wolof.

« Désormais, les gens viendront ici pour déguster notre plat et surtout apprendre à le cuisiner », poursuit Thiané Ngom, qui a appris les secrets du plat dans les jupons de sa défunte mère.

Le plat répond aux critères requis par l’Unesco en ce qu’il est « une chose vivante, qui respire, transmise de génération en génération » et qui a « un sens dans la vie des gens ».

– Comme le baobab –

Le dossier de demande d’inscription du Thiébou dieune a été introduit en octobre 2020 par le ministère de la Culture.Dans son argumentaire, il a énuméré les ingrédients basiques du Ceebu Jën (selon l’orthographe wolof) bien que les recettes varient selon les régions.

Le dossier de candidature note que la recette et les techniques sont traditionnellement transmises de mère en fille, mais que les hommes commencent à s’y mettre. »On mange le Ceebu Jën avec les doigts dans la plupart des familles mais, dans les restaurants, la cuillère ou la fourchette sont généralement utilisées.

Ce plat, considéré comme une affirmation de l’identité sénégalaise est devenu le plat national du Sénégal ».

Une fierté donc pour le commun des Sénégalais.Nombre d’internautes ont partagé la joie de Thiané Ngom. »Alhamdoullillah, c’est Penda Mbaye qui doit être fière », écrit l’un d’eux, faisant allusion à celle qui serait à l’origine de la recette traditionnelle.

Ce sujet fait parfois débat, comme la paternité sénégalaise du plat. Des Nigériens et des Ghanéens revendiquent d’y avoir mis leur grain de sel.

Mais l’Unesco a tranché, tout comme Fatima Fall Niang et Alpha Amadou Sy, les auteurs du livre intitulé « le Ceebu Jën, un patrimoine bien sénégalais », paru en 2020.

« Le Ceebu Jën, dont l’acte de naissance a été signé à Saint-Louis, la vieille cité coloniale, est aujourd’hui, à l’image du lion, du baobab et de la Téranga (hospitalité en wolof), un des symboles les plus emblématiques du Sénégal », note le livre.

Au-delà des controverses d’origine, le « Thieb » met tout le monde d’accord une fois servi, qu’il en coûte 500 francs (0,76 euro) dans la gargote de Thiané Ngom, ou 9.000 francs CFA (13,72 euros) dans un des hôtels de luxe de la capitale.

SOURCE : AFP