Jean-Philippe Prosper : « A court et à moyen terme, le Togo peut espérer une implication plus forte de la Société Financière Internationale (IFC) »

En fin de visite officielle de trois jours au Togo (les 9, 10 et 11 juin), le Vice-président de la société Financière internationale (IFC) pour l’Afrique Subsaharienne et l’Amérique latine, Jean-Philippe Prosper était face aux professionnels de la presse ce mercredi à Lomé pour expliquer les domaines d’intervention de son institution, ses réalisations en Afrique et au Togo mais aussi les défis qu’il lui faut relever. Lisez l’intégralité de l’intervention de M.Prosper.

Q : Présentez-nous votre institution. Qu’est-ce que l’IFC ?

R :

l’IFC (Société Financière Internationale) est le bras « secteur privé » du groupe de la Banque mondiale. Dans nos activités d’investissements, nous finançons essentiellement le secteur privé. Ce faisant, nous prenons les participations au capital dans les entreprises et nous faisons également des prêts, à long et à moyen termes tout en offrant également des garantis. Nous avons également des activités de services conseils. C’est ainsi que nous appuyons le secteur privé en termes de formations des Petites et Moyennes Entreprises (PME) ou autres. Enfin, nous travaillons également avec les gouvernements particulièrement sur le climat d’investissement et tout ce qui touche au partenariat « public-privé ». Ces travaux sont principalement des activités de services-conseils.

En terme de volume d’activités au niveau mondial, ce que nous avions eu à faire courant l’exercice fiscale qui s’est achevé le 30 juin 2013, s’élève à 25 milliards de dollars Us. Nous avons réalisé 5.3 milliards de financement en Afrique subsaharienne qui représente la deuxième région la plus importante en termes de volume d’activités. Près de la moitié de ces 5.3 milliards on été déversée dans le secteur financier, particulièrement dans les institutions financières (banques commerciales, institutions de microfinances). Le reste – c’est à dire 30 % à peu près – est allé dans le secteur des infrastructures et entre 15 et 20 % ont été orientés vers les secteurs de l’industrie et des services.

Pour le cas particulier du Togo, nous sommes assez impliqués dans le secteur des infrastructures. Nous avons par exemple mobilisé la grande partie du financement pour le projet « contour global » (14 millions de dollars Us), le développement du secteur des infrastructures portuaires avec le projet « Lomé Container Terminal » (82.5 millions de dollars Us).

Nous sommes également dans le secteur financier, le secteur de l’agro-business, de l’agriculture, de la santé. Par ailleurs, nous accompagnons le Togo avec un programme très actif dans son effort pour l’amélioration du climat des affaires. Voilà substantiellement ce que nous faisons.

Q : Quelles sont les sources de financement de l’IFC ?

R : Nous avons, comme toute institution financière, commencé en 1956 avec des fonds propres que les pays membres, les actionnaires des institutions ont investis. Aujourd’hui, nous nous finançons essentiellement sur le marché financier. C’est le plus gros de nos ressources. Nous empruntons à taux préférentiel parce que nous sommes côtés triple A.

Q : Parlant des mesures qui ont été prises au Togo pour l’amélioration du climat des affaires, et des reformes entreprises au niveau du régime fiscale, quels en sont concrètement les impacts et que reste t-il encore à faire par l’autorité pour améliorer ce climat ? Aussi, comment le secteur privé togolais peut-il travailler avec votre institution sachant que le problème majeur que rencontre ce secteur est celui de la garantie exigée par les institutions bancaires ?

R :

Nous publions au niveau du groupe chaque année, un rapport qui compare ce qui se passe dans les différents pays en mettant un accent sur 10 critères essentiellement. Déjà il faut noter qu’on a constaté qu’il y a eu des améliorations en ce qui concerne le classement du Togo. Il faut dire toutefois que la plupart des pays font aussi des efforts pour pouvoir améliorer le climat des affaires chez eux. De sorte que même s’il arrive que des pays font des efforts, ils peuvent reculer dans le classement parce que d’autres font plus d’efforts. C’est ce qu’on peut dire au niveau du classement chiffré.

Maintenant sur les entreprises au quotidien : parmi les indicateurs qui se sont améliorés au Togo, on peut parler du nombre de jour, du nombre de procédures si vous devriez créer une entreprise (en 2011 déjà, nous étions à 91 jours pour la création d’une entreprise, aujourd’hui le processus global en lui-même prend 19 jours. Pour ce qui est du permis de construire nous étions à 300 jours en 2012. Cette année nous sommes à 150 jours. Il y a également des facilités qui ont été faites au niveau fiscale ; le taux sur la conservation foncière qui a baissé, le taux sur le transfert de propriété qui a baissé de même que l’impôt sur le salaire). Aussi, le gouvernement se prépare pour rentrer dans le Millenium Challenge Account.

Toutefois, certains indicateurs doivent encore être améliorés ; le domaine foncier qui reste un gros boulet (plus de 90 % des dossiers qui sont au niveau du tribunal relèvent du foncier. C’est encore un point d’ombre). La justice reste aussi un problème. Un autre aspect important c’est la qualité du dialogue entre le gouvernement et le secteur privé qui est le principal secteur qui doit conduire aux réformes. Ce sont les points sur lesquels nous travaillons avec le gouvernement.

En ce qui concerne la garantie pour l’accès aux crédits, nous travaillons de deux manières. Soit nous finançons directement certaines entreprises (le cas de Contour Global ou de Lomé Container Terminal), soit nous utilisons des intermédiaires financiers (banques commerciales ou les microfinances) pour atteindre les Petites et Moyennes Entreprises (PME) ou les très petites entreprises. Nous donnons des lignes de crédits à ces banques commerciales, et elles les « reprêtent » aux entreprises locales.

Compte tenue des réalités, nous ne nous arrêtons pas là. Beaucoup de banques commerciales ne travaillent pas directement avec les PME mais plus avec les « coorporate », les grosses compagnies parce qu’elles ne savent pas très bien comment travailler avec les PME. Du coup, nous, nous formons souvent l’assistance technique aux banques commerciales pour leur permettre de savoir comment travailler avec les PME, nous leur fournissons un appui pour pouvoir le faire.

Q : Qu’est-ce que le Togo peut espérer à court et à moyen terme de l’IFC ?

R : A court et à moyen terme, une implication plus forte d’IFC. Nous avons eu des conversations avec certains acteurs du secteur privé mais également avec des membres du gouvernement. Nous allons continuer par nous impliquer de plus en plus dans le dialogue qui touche le partenariat public-privé. Nous essayons de voir comment nous pouvons aider le gouvernement à développer ce genre de projet. Particulièrement au niveau de tout ce qui touche le secteur des infrastructures et de l’agro-industrie,

Q : Parlant des prêts que vous accordez aux toutes petites entreprises, comment se matérialisent ces financements et quels types d’entreprises peut réellement solliciter votre financement ?

R :

L’un des aspects les plus importants pour nous, consiste à appuyer les petites et moyennes entreprises même si nous travaillons avec les « coorporate ». N’oubliez pas que l’IFC fait partie du groupe de la Banque Mondiale. Et dans ce cadre là, nous avons indiqué de manière très claire que nous avons deux objectifs prioritaires : la prospérité partagée et l’élimination de la pauvreté extrême d’ici 2030. Si on veut y arriver, il va falloir sans doute s’assurer qu’on puisse aider les très petites et le moyennes entreprises.

Maintenant, il est vrai que l’on croit généralement que nous ne finançons que les « coorporates » simplement parce que notre mode d’action le plus visible reste les financements direct à l’instar de Lomé Container Terminal ou de Contour Global. Par contre, ce qui n’est pas aussi visible mais que nous faisons beaucoup plus, ce sont nos financements indirects. 50% du volume de notre engagement financier va au secteur financier qui les injecte indirectement aux petites entreprises. Par ailleurs, sur les 5 et 7 dernières années, nous avons créé avec des partenaires ce que nous appelons « green field ». Il s’agit de plus de 15 institutions de microfinances sur le continent qui n’existaient pas. Il ne faut néanmoins pas ignorer que l’un des avantages à accorder des financements aux « cooporate », c’est qu’en regardant la chaîne des valeurs, elles achètent certains de leurs produits intermédiaires auprès de petites et moyennes entreprises. En travaillant avec les « coorporates », nous nous assurons qu’ils développent dans leur zone d’opérations de petites et moyennes entreprises qui leur offrent des services. Non seulement cela développe le tissu pour la communauté qui va bénéficier de ces services mais, cela comporte des avantages pour la grosse entreprise en matière d’intégration à la communauté.

Q : En nous intéressant à l’actualité, nous savons que vous avez accordé une ligne de crédit à la banque ITIE–Ecobank. A la vue des problèmes internes qui ont surgi au sein de cette institution récemment, quel est votre analyse de la situation ? Par ailleurs, la Banque Mondiale vient de revoir à la baisse ses prévisions pour la croissance de cette année 2014 pour les pays de l’Afrique de l’Ouest. Qu’est-ce que cela augure ?

R : Nous avons effectivement investi dans ITIE comme vous le savez. Etant donné que ce sont des affaires internes à l’institution, nous en tant qu’actionnaires et investisseurs nous suivons naturellement de près la situation et maintenons des discussions avec elle. Mais cela dit, l’institution continue donc de résoudre ses problèmes internes.

En ce qui concerne cette revue à la baisse de la Banque Mondiale, ce sont des choses qui arrivent régulièrement. Vous faites des estimations et quelques temps après certaines choses évoluent. Parfois on les revoit à la hausse parfois à la baisse. Cela dit, il n y a pas d’inquiétudes particulières. Nous ne sommes pas en train de dire que l’Afrique est en récession ou va avoir des taux de croissance de 2 ou 3 %. On est toujours dans les 4, 5 %. Il n y a pas d’inquiétudes particulières à se faire aujourd’hui. Ce n’est pas alarmant.

Q : Peut on dire que des institutions financières comme l’IFC sont vraiment au service des peuples, du petit artisan, quand on voit toutes les critiques qu’elles essuient notamment en ce qui concerne la provenance de leurs financements et le poids des grandes puissances qui en sont les moteurs?

R : Dans le cadre de l’IFC, la réponse est simple en ce qui concerne nos activités de financement. Nous finançons essentiellement le secteur privé. Nous allons sur le marché international et nous empruntons de l’argent. Nous prenons des risques. En d’autres termes, si nous prêtons de l’argent à une entreprise togolaise, le gouvernement togolais ne nous donne absolument aucune garantie. Nous prenons des risques comme n’importe quelle institution commerciale. Nous perdons de l’argent ou nous gagnons si nous faisons de bonnes ou de mauvaises affaires. Fort heureusement, nous sommes bien gérés et nous gagnons globalement de l’argent. N’ayant pas la boule de cristal, nous faisons des bêtises comme tout le monde sur certains projets.

Sur la question spécifique de l’artisan, je rappelle que nous avons créé à partir de rien, un certain nombre de structures de microfinances. Quand un client emprunte de l’argent dans une structure de microfinance que nous avons financée, il n’a absolument aucune idée que c’est l’IFC qui a aidé à créer cette institution de microfinance en lui accordant une ligne de crédit. Ce qui est important pour nous, c’est que ces structures de microfinances puissent subvenir aux besoins d’un certain nombre de petits entrepreneurs. FIN

Propos recueillis par Sosthène HOUMEY-HAKEH (Stagiaire)

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