Ghana: Ouverture d’une enquête après l’assassinat d’un journaliste enquêtant sur la corruption

Anas Aremeyaw Anas, à Accra le 12 juin 2018

Une enquête a été ouverte au Ghana après l’assassinat d’un journaliste d’investigation ayant participé à une vaste enquête sur la corruption dans le foot africain, abattu par balles mercredi soir alors qu’il rentrait chez lui à Accra.

« Nos hommes sont en ce moment sur le terrain pour récolter des renseignements. Nous vous tiendrons informés des avancées de l’enquête en temps voulu », a déclaré à l’AFP le directeur du Département des enquêtes criminelles au Ghana, Maame Yaa Tiwaa Addo-Dankwa.

« Toute personne liée à ce meurtre sera interrogée, nous avons lancé une enquête de grande envergure », a-t-il ajouté.

Ahmed Husein faisait partie de l’équipe de reporters infiltrés dirigée par le célèbre journaliste Anas Aremeyaw Anas, qui a fait éclater l’an dernier un vaste scandale de corruption et de matchs truqués, conduisant à de lourdes sanctions des instances internationales de football.

Un officier de police a expliqué à l’AFP sous couvert d’anonymat que le journaliste avait reçu des balles à la poitrine et au cou dans sa voiture, tirées par des hommes qui n’ont pas encore été identifiés.

Le journaliste assassiné avait récemment déposé plainte après qu’un député du parti au pouvoir cité dans l’enquête journalistique, Kennedy Agyapong, eut diffusé sa photo à la télévision, promettant une récompense à qui le passerait à tabac.

« Le garçon qui est très dangereux, il vit ici à Madina. Si vous le rencontrez quelque part, cassez-lui les oreilles (…), tabassez-le. Quoi qu’il arrive je vais payer, parce qu’il est mauvais », avait déclaré le politicien lors d’une émission diffusée l’an dernier sur une chaîne privée ghanéenne.

L’avocat d’Ahmed Husein a qualifié jeudi les propos du parlementaire de « criminels », et dénoncé l’absence de réaction des autorités face aux menaces dont son client avait fait l’objet.

« Quand nous nous sommes plaint de ces déclarations irresponsables, personne ne s’en est saisi et voilà où nous en sommes arrivés », a déclaré à l’AFP Me Kissi Agyabeng.

Le député Agyapong « doit désormais répondre à de nombreuses questions », a-t-il ajouté. « Vous devez être tenu responsable si vos actions ou inactions aboutissent à un crime. C’est écoeurant (…) et irresponsable ».

– Scandale dans le foot –

De nombreux journalistes ghanéens et défenseurs de la liberté de la presse ont aussitôt condamné jeudi sur les réseaux sociaux l’assassinat du journaliste de 34 ans, qui avait joué un rôle clé dans la récente enquête documentaire d’Anas Aremeyaw Anas.

« Triste nouvelle, mais nous ne serons pas réduits au silence. Repose en paix, Ahmed », a réagi Anas sur Twitter, qualifiant Ahmed Husein « d’excellent journaliste d’investigation expérimenté ».

Anas, qui dissimule son apparence pour des raisons de sécurité et a lui aussi reçu des menaces de morts à plusieurs reprises, est considéré dans son pays comme le « super-héro anti-corruption » qui s’est donné pour mission de sauver l’Afrique de ces pratiques « meurtrières ».

« Number 12 », son documentaire explosif sorti en juin 2018, piégeait des dizaines d’arbitres ghanéens et du continent ainsi que plusieurs dirigeants de la Fédération ghanéenne, dont son président, en leur proposant des pots-de-vin.

Après le scandale, plus de 50 arbitres africains ont été suspendus par la Confédération africaine de football (CAF).

Le président de la fédération ghanéenne, Kwesi Nyantakyi, avait été filmé avec des « investisseurs » potentiels (des journalistes infiltrés) à qui il faisait miroiter de juteux contrats avec le gouvernement ghanéen, en échange de plusieurs millions de dollars. Il a démissionné de ses fonctions, après avoir été suspendu pour trois mois par la Fédération internationale de Football (Fifa).

Le Comité pour la protection des journalistes a appelé dans un communiqué à une « enquête immédiate », demandant aux autorités ghanéennes de « veiller à ce que les menaces contre la presse soient prises au sérieux ».

La Commission nationale des médias a également condamné cet acte et a appelé la police à mener une enquête approfondie.

« Il est dans l’intérêt de la nation d’arrêter les auteurs de ce crime », a déclaré le président de la commission, Yaw Boadu Ayeboafo.

Le Ghana est classé 23e sur 180 pays dans l’indice mondial 2018 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF).

SOURCE : AFP