Dépistage Sida: Une personne sur deux en Afrique ne connait pas son statut (TROIS QUESTIONS)

Trente-cinq ans après le début de l’épidémie de sida, une personne sur deux en Afrique subsaharienne « ne connait pas son statut VIH », souligne Joseph Larmarange, démographe en santé publique à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).

Le dépistage est toujours insuffisant en Afrique de l’ 0uest et du centre, selon le démographe français qui a présenté une étude* sur le sujet à la 19e Conférence internationale sur le sida et les infections sexuellement transmissibles en Afrique (ICASA), qui se tient à Abidjan du 4 au 9 décembre.

Question : Pourquoi le dépistage est-il toujours un défi en Afrique de l’Ouest et du centre ?

Réponse : Le dépistage, c’est la pierre angulaire de la réponse à la lutte contre le sida, puisqu’une fois que les personnes sont dépistées, si elles sont positives, on peut les orienter vers une prise en charge médicale et un traitement, et si elles sont négatives, vers les actions de prévention.

Aujourd’hui plus d’une personne sur deux en Afrique subsaharienne et surtout en Afrique de l’Ouest et centrale ne connait pas son statut VIH. On sait qu’en Côte d’Ivoire 40% des femmes et 60% des hommes n’ont jamais encore fait de test au cours de leur vie ».

« Pourquoi ce retard ? Parce que l’Afrique de l’Ouest a reçu moins d’attention que l’Afrique de l’Est et australe, où l’épidémie est plus importante.

En Afrique de l’Ouest, l’épidémie est limitée dans la population générale, avec une prévalence de 1 à 2,5%, mais concentrée sur des groupes à risques, les travailleurs/travailleuses du sexe, les hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes et les usagers de drogue. La difficulté, c’est comment toucher les personnes les plus à risque.

Les stratégies de dépistage adoptées jusque là ont-elles été pertinentes ?

Plusieurs stratégies ont été mises en place dans la région, comme le dépistage communautaire pour cibler les groupes les plus exposés, avec des acteurs qui vont sur le terrain au contact des personnes. Suivant les pays, on a ce qu’on appelle un test rapide qui se fait au bout du doigt et qui permet de dépister directement à l’endroit où l’on est.

Mais les acteurs communautaires ne sont pas tous formés à faire ce dépistage, il y a là un retard à rattraper.

Le dépistage systématique dans toutes les consultations médicales, prôné à une époque par l’Organisation mondiale de la santé, reste limité en pratique, à cause des réticences des personnels soignants et de la lourdeur du dispositif. Seulement une personne sur cinq se le voit proposer lors d’une consultation de médecine générale.

Même lors des consultations spécifiques pour des infections sexuellement transmissibles, trois quarts des personnes ne se sont pas vu proposer un dépistage. Lors des consultations prénatales, un quart des femmes ne se voit pas proposer de test, ni non plus deux tiers des hommes qui accompagnent leurs femmes. C’est ce que montre notre étude en Côte d’Ivoire.

Quelles nouvelles stratégies adopter ?

Il va falloir rendre le dépistage accessible de plein de manières différentes. Il faut d’une part toujours garantir le dépistage volontaire qui est à la traine aujourd’hui, c’est-à-dire que, quand quelqu’un veut faire un test, il puisse le faire facilement.

On sait qu’il va falloir améliorer la proposition de test dans les consultations médicales mais peut être en ciblant sur des consultations spécifiques.

Par ailleurs il faut toujours renforcer l’activité communautaire pour les populations plus difficiles d’accès, mais même là il y a plein de gens qu’on ne voit pas.

Et, là, des nouveaux outils comme l’autotest ont une place à prendre dans le dispositif en Afrique de l’ouest et centrale. L’autotest peut être proposé de différentes manières : par la +distribution secondaire+, c’est-à-dire en donnant les tests à des personnes qui les redonnent ensuite à leur entourage, pour atteindre des populations cachées, comme des travailleuses du sexe occasionnelles, des homosexuels hors milieu. Et par la distribution en pharmacie, y compris dans des zones rurales et reculées. C’est la multiplication des stratégies qui va permettre d’avancer.

Etude sur les stratégies de dépistage du VIH en Côte d’Ivoire (projet ANRS DOD-CI), se basant sur une enquête nationale conduite auprès de 4.000 personnes, coordonnée par Mariatou Koné (Institut d’ethnosociologie de l’Université Félix Houphouët Boigny d’Abidjan) et Joseph Larmarange (IRD) en partenariat avec le site ANRS de Côte d’Ivoire (programme PACCI) et l’École Nationale Supérieure de Statistique et d’Économie Appliquée d’Abidjan.

SOURCE : AFP