Souveraineté alimentaire : « Dans nos pays, nous devons éduquer les consommateurs et même les producteurs à faire des choix éclairés » (Mme Claire Quenum)

La Souveraineté alimentaire était au centre d’un atelier de trois jours, tenu la semaine dernière à Lomé. Cet atelier avait rassemblé les représentants d’associations membres de l’Alliance pour la Souveraineté Alimentaire (APSA), organisatrice dudit atelier.

Mme Claire Regina Ameyo Quenum, point focal du Réseau Africain Pour le Droit à l’Alimentation (RAPDA, membre de l’APSA) revient sur cette rencontre et sur certaines notions notamment la Souveraineté alimentaire et la sécurité alimentaire.

Pour Mme Quenum, « nous devons éduquer les consommateurs et même les producteurs à faire des choix et des choix éclairés, et amener les décideurs à prendre des décisions qui respectent les droits et la santé des personnes. « .

Savoir News : Au Togo, vous êtes le point focal du RAPDA, un réseau qui œuvre pour l’effectivité du droit à l’alimentation. Présentez-nous brièvement ce réseau.

Mme Claire Regina Ameyo Quenum: Le Réseau Africain pour le Droit à l’Alimentation (RAPDA) est un réseau panafricain née à Cotonou, qui a son siège à Cotonou et qui fait la promotion du droit à l’alimentation en Afrique. Au cours d’un forum social mondial en Nairobi en 2008, les membres fondateurs ont constaté qu’en Afrique, il n’y a pas d’organisations qui travaillent sur le droit à l’alimentation. Alors, ils ont donc eu l’idée de créer ce réseau pour faire la promotion du droit à l’alimentation en Afrique.

Q : Pendant trois jours, vous avez participé au nom de votre association, à un atelier sur la souveraineté alimentaire. Qu’est ce que la +souveraineté alimentaire+ ?

R : L’atelier est organisé par l’Alliance Pour la Souveraineté Alimentaire en Afrique (APSA). Notre réseau est lié à cette alliance qui est un réseau des réseaux en Afrique, pour faire la promotion souveraineté alimentaire. Maintenant, je viens à votre question : la souveraineté alimentaire veut que les personnes puissent jouir effectivement de leur droit à une alimentation adéquate. Il faut pouvoir mettre les gens dans l’environnement qui leur permet d’avoir une alimentation adéquate et saine. La souveraineté alimentaire fait également partie des droits socio économique et culturels.

Q : Quelle est la principale nuance entre la sécurité alimentaire et la souveraineté alimentaire ?

R : On peut garantir la sécurité alimentaire pour quelqu’un d’autre, on peut lui apporter à manger, lui créer les conditions pour manger. On peut même lui apporter la nourriture produit ailleurs, lui donner aussi ce qu’il n’a pas l’habitude de manger, juste pour lui assurer son alimentation.

Mais la souveraineté alimentaire dit qu’il faut respecter aussi le droit des personnes à l’alimentation. Et nous ne mangeons pas tout ce que nous trouvons ! Nous mangeons ce qui répond à notre culture, ce dont nous avons l’habitude de nous nourrir. Par exemple : les togolais mangent beaucoup le maïs (transformé sous plusieurs formes), mais on ne doit pas dire aux togolais par exemple, que c’est la semoule produit dans les pays européens qu’ils doivent manger ! La souveraineté alimentaire va donc au-delà de la sécurité alimentaire, c’est-à-dire qu’il ne suffit pas seulement d’avoir à manger, mais il faut avoir un contrôle sur son alimentation, il faut respecter la culture des personnes, et leurs habitudes alimentaires. Donc il y a l’autonomie, l’indépendance et le respect du droit.

Q : D’aucuns conçoivent la souveraineté alimentaire comme une sorte de retour en arrière, c’est-à-dire une manière de rompre avec les méthodes moderne et de renouer avec les vieilles habitudes : houe, hache, pantins pour chasser les oiseaux dans les champs, culture itinérante sur brûlis, jachère prolongée, etc. Qu’en pensez-vous ?

R : La souveraineté alimentaire ne veut pas dire qu’il faut retourner à l’ancien temps, l’être humain évolue dans le temps. Les paysans qui sont sur le terrain et qui pratiquent par exemple l’agriculture familiale, s’adaptent également au climat, à la nature etc… Ils veulent utiliser des outils plus performants que les outils utilisés par leurs grands parents. Pour peu qu’on les appuie dans leur travail, nous pouvons avoir la souveraineté alimentaire. Par exemple chez nous au Togo, pour moudre le grain, on utilisait une meule. Mais actuellement, il y a des moulins qui facilitent la tâche, même pour le manioc, il y a des instruments que nous appelons rappeuses qui facilitent le travail pour les femmes. Donc la souveraineté alimentaire, ce n’est pas retourner en arrière mais avoir le droit, l’autonomie l’indépendance et pouvoir se nourrir de façon adéquate

Q : Qu’est ce que vous défendez en réalité ? Ou quel est le risque que nous courons actuellement ?

R :

Quand on ne fait pas la promotion de la souveraineté alimentaire et qu’on dit qu’on va seulement manger à sa faim, on risque beaucoup de choses ! Vous voyez actuellement dans nos pays, il y a des maladies qui émergent : le diabète l’obésité, le cancer, (…), ce sont des maladies que nous ne connaissions pas avant. Ces maladies sont parfois dues à la transformation et à la production industrielle des aliments : il y a des choses qui ne sont pas conservées dans de très bonnes conditions et il y en a qui viennent ici, mais qui ne sont pas des denrées qui peuvent être conservées sous notre climat.

Concrètement, nous acceptons l’évolution mais nous luttons pour le naturel dans l’évolution.

Par exemple les poulets congelés, ils sont nourris d’une manière où ils prennent beaucoup de poids et nous trouvons que c’est agréable. Mais quand le poulet est localement élevé et qu’il mange du grain et non les résidus des produits animaux, ça soutien beaucoup plus la santé.

Mais si on produit de façon industrielle parce que la demande est forte, et qu’on produit sans tenir compte de la qualité de la nourriture, cela porte atteinte à notre santé. Et il est même démontré par les scientifiques que les produits modifiés (les OGM) nous conduisent à des risques de santé. La production massive est également une cause du changement climatique parce que, quand on force la nature, quand on lui demande de faire plus que ce qu’elle doit faire à un certain moment de l’année, la nature aussi a ses réactions.

Donc il est très important que nous puissions partager l’information avec les populations, les communautés. Car notre climat n’est pas adapté à la consommation de certains produits, et les produits modifiés. C’est un travail difficile, mais c’est important. Lorsque nous avons la connaissance, il faut que nous l’utilisons pour notre bien-être et notre mieux- être.

Dans nos pays, nous devons éduquer les consommateurs et même les producteurs à faire des choix et des choix éclairés. Nous devons aussi amener les décideurs à prendre des décisions qui respectent les droits et la santé des personnes. Donc la communication doit continuer pour que les personnes puissent avoir la bonne information et faire les choix judicieux. FIN

Propos recueillis par Ambroisine MEMEDE

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