Germaine Kouméalo Anaté : « Je ne suis pas allée aux états généraux pour mettre les recommandations dans les tiroirs, sinon on aura perdu notre temps (…) »

La ville de Kpalimé a abrité du 30 juin au 2 juillet dernier, les états généraux de la presse togolaise. Placés sous le thème : « Le pari de la professionnalisation », ces assises avaient rassemblé 223 journalistes et des patrons de presse (secteurs public et privé). Des experts étaient également venus du Bénin, du Burkina Faso, du Niger, du Tchad et de la France. Le Patronat de la Presse Togolaise (PPT), l’une des associations regroupant des patrons de la presse privée, avait boycotté ces assises, dénonçant des « irrégularités de fond et de forme » dans l’organisation.
Mme Germaine Kouméalp Anaté, ministre de la communication, de la culture, des arts et de la formation civique, dans une interview accordée à quatre organes de presse dont l’Agence Savoir News, est largement revenue sur ces assises. Lisez.

Savoir News : Les états généraux de la presse se sont déroulés du 30 juin au 2 juillet à Kpalimé sur le thème: « Le pari de la professionnalisation ». Pourquoi la tenue de ces grandes assises ?

Germaine Kouméalo Anaté:

Avant de répondre à cette question, je voudrais profiter de l’occasion que vous m’offrez pour féliciter et remercier tous les participants à ces états généraux de la presse : les professionnels des médias, les experts qui sont venus nous soutenir, les partenaires en développement qui nous ont accompagnés.

Pourquoi ces états généraux ? Ce sont des assises qui ont toujours été voulus par les professionnels des médias depuis un certain nombre d’années, et il était important que le gouvernement ainsi que les partenaires en développement notamment le système des Nations-Unies puissent accompagner et matérialiser ce désir pour plusieurs raisons.

Nous connaissons le rôle fondamental que jouent les médias dans le renforcement de l’Etat de droit, dans la formation et l’éducation citoyenne… tout simplement le rôle qu’ils jouent dans le développement social et économique. Une presse qui se porte bien, c’est une nation qui se porte bien.

Après la libéralisation des années 90 qui a permis de voir aujourd’hui une presse plurielle et diversifiée, on s’est rendu compte quand même, que tant qu’il y avait cette ouverture, il y a un certain nombre de mauvaises pratiques qui se sont installées, un certain nombre de dérapages. Mais, il y a également des mutations qui sont intervenues dans le secteur et qui nécessitaient qu’on puisse aussi réfléchir sur l’environnement juridique pour moderniser et actualiser les textes qui régissent le secteur. Voilà un certain nombre d’enjeux et de défis qui ont motivé la tenue de ces états généraux.

Q : Quelle est aujourd’hui, la situation de la presse togolaise? Faites-nous plus ou moins, l’état des lieux.

R : Je viens déjà de brosser un peu la situation en rappelant le contexte historique qui a vu l’émergence d’une presse plurielle et diversifiée. C’est un atout et on doit s’en féliciter. Et c’est l’un des critères dans une société démocratique : avoir une presse libre, une presse indépendante, une presse plurielle. Malheureusement, on se rend compte qu’à côté de la presse plurielle, il y a aussi un nombre pléthore d’organisations de presse. Donc on a un nombre pléthore d’organes de presse et d’organisations de presse. Cela pouvait être un atout, mais on s’est rendu compte qu’il y a une sorte de +désordre+ qui s’est installé.

Alors, les acteurs ont pris conscience que si on veut aller vers plus de professionnalisation, si on veut que la voix des médias porte, ils ne peuvent pas aller en rangs dispersés, qu’il faut qu’ils soient plus soudés.

Car en réalité, les objectifs et les intérêts sont les mêmes. Aujourd’hui, la réflexion : c’est de voir s’ils ne peuvent pas, soit fusionner, soit fédérer les organisations de presse. C’est pareil pour les organes de presse. Au Togo, on a plus de 300 médias pour une population de 6 millions d’habitants, avec peut-être 1 ou 2 millions qui sont vraiment instruits. Je pense qu’il y aussi une réflexion qui peut se mener au niveau de la réorganisation même su secteur.

Nous pouvons nous réjouir des atouts que nous avons. Mais en même temps, nous déplorons quelques faiblesses. Et c’est ce qui a aussi alimenté les débats au cours de ces états généraux.

Q : Vous avez parlé des +dérapages+ et +désordre+. Est-ce que ces questions ont été abordées lors de ces états généraux ?

R : L’un des éléments forts du rendez-vous de Kpalimé, c’est que tous les points ont été abordés sans tabou, sans complaisance : aussi bien les questions d’éthique et de déontologie et d’impartialité dans le traitement de l’information, que les questions liées aux conditions de vie des journalistes, d’où la nécessité d’aller vers l’adoption d’une convention collective. Nous avons aussi parlé des textes dont le code de la presse. Il y a aussi des dispositions qu’il faut actualiser, avec les nouveaux médias. Les assises ont également abordé le point relatif à la formation des journalistes.

Q : Aviez-vous donné des instructions pour que les débats soient ouverts ?

R : Avec la démarche globale dans laquelle le pays s’est engagé aujourd’hui, il était important que les acteurs des médias se sentent en confiance et qu’ils se sentent libres d’aborder sans tabou, tous les problèmes. Car, sans un diagnostic sincère et lucide, il va être très difficile d’apporter les remèdes nécessaires. Pour moi, c’était un préalable, et je pense que tout le monde l’a entendu. Et on se réjouit tous, parce que les débats se sont déroulés dans un climat apaisé, ce qui a permis à tous les journalistes présents, à nos partenaires qui nous accompagnés, de s’exprimer librement.

Q: Il y a 175 radios, 11 télévisions etc… sans parler des organisations de presse. Ne pensez-vous pas que la porte est ouverte aux dérapages et à l’amateurisme ?

R: La pléthore des organes de presse peut être une porte ouverte aux dérapages. Mais je pense que la question de dérapages vient de plus loin. Elle n’est pas simplement dans la pléthore.

Le problème de dérapages vient de loin et je peux citer quelques facteurs explicatifs : l’un des premiers facteurs, c’est le contexte socio-politique. Nous avons des médias fortement politisés. Alors quand on est très politisé, on a tendance à oublier les pratiques journalistiques et à privilégier des pratiques de militants. Il y a des journaux qui, en réalité, correspondraient davantage à des médias de partis politiques, qu’à des médias dits professionnels. Mais, l’autre élément qui est aussi important, c’est que beaucoup de journalistes ont appris le métier sur le tas.

Beaucoup se sont improvisés journalistes. Ça peut arriver, mais il faut qu’il y ait en ce moment, une formation qui accompagne. Le vrai problème, c’est celui de la formation : que ce soit la formation initiale ou la formation continue. Le journaliste est quelqu’un qui doit être curieux, il doit être permanemment en quête de renforcement de ses connaissances. Donc, il doit se former en permanence.

Q: Le PPT n’a pas pris part aux assises de Kpalimé. Vous vous êtes personnellement investie, mais cela n’a pas abouti. Regrettez-vous l’absence de ce patronat à ces états généraux ?

R: Je n’ai aucune frustration, aucun regret quand à la participation ou à la non participation du PPT.
En réalité, lorsque nous sommes revenus, j’étais agréablement surprise de voir que l’adhésion n’était pas que du côté des professionnels des médias, il y a une adhésion populaire: la population togolaise nous a suivis et les gens ont adhéré, parce que ces états généraux répondent à une attente plus forte. Et tous les patronats de presse avaient leur représentant dans le comité d’organisation.

Lorsque nous avons organisé la journée d’échanges (en mai), il y avait tout le monde, chaque organe de presse et chaque organisation avait fait son credo.

Nous étions sur la même longueur d’onde quant à l’organisation des états généraux et tous voulaient allaient à ces assises. Et c’est ce qui a fait que chacun a envoyé — surtout les organisations — un représentant.

Et le PPT avait son représentant dans le comité d’organisation, nous avons travaillé tranquillement jusqu’à deux ou trois jours de l’événement. Et lorsqu’ils ont voulu suspendre leur participation, nous avons discuté. Il y avait quelques malentendus, qui ont été levés et on s’est vraiment bien entendu. Il n’y avait aucun problème et d’ailleurs je me réjouis qu’un des membres du PPT ait pu venir, présenter une communication sur la gestion des entreprises de presse.

Donc, d’une manière directe ou indirecte, je pense que le PPT était à nos côtés. Je me réjouis et je les félicite aussi pour ça.

Q: Au cours de ces états généraux, le problème de l’information de qualité et celui de la formation des journalistes ont été fortement posés. Vous avez déjà brossé le problème. Mais quel est votre point de vue particulier sur cette question ?

R: C’est un devoir pour le journaliste de donner une information de qualité aux citoyens. Et les citoyens sont en droit d’attendre cela. Or pour donner une information de qualité, il faut une bonne formation, une formation de qualité qui donne au journaliste, les outils pour la pratique de son métier.

C’est pour cela que la formation est centrale de mon point de vue. Et là, j’insiste encore : ce n’est pas simplement la formation du point de vue formel que vous allez recevoir dans des écoles de journalisme. C’est indispensable, mais il y a l’auto-formation qui doit être permanente. Et nous avons eu la chance de bénéficier de l’expérience de grands journalistes. Au-delà de la formation, il y a l’état d’esprit que le journaliste doit avoir et surtout l’humilité permanente.

Nous avons insisté là-dessus et nous avons bénéficié de témoignages d’anciens journalistes. Je pense que les journalistes togolais présents à ces assises, pourront tirer bénéfice de ces expériences.

Q: Autres préoccupations : la question du statut particulier des journalistes des médias d’Etat, le financement des nouveaux médias et la transition de l’analogie vers le numérique.

R: La transition en numérique : il y a un impératif pour tous les pays de l’UEMOA et pour beaucoup d’autres pays aussi : juin 2015. C’est un processus qui a commencé au Togo.

Une commission nationale de transition numérique a été mise en place et réfléchit aux différentes propositions sous l’égide de l’UEMOA pour faire en sorte que tous les médias (d’Etat et privé) puissent être aussi pris en compte. Donc, il y a un certain nombre de propositions qui sont déjà faites indépendamment des recommandations des états généraux. On avait déjà engagé des réformes et nous allons les poursuivre.

Le statut particulier des journalistes des médias d’Etat : tout cela a été débattu à Kpalimé et il y a des recommandations. Nous-mêmes, nous étions déjà engagés dans la réflexion, le ministère avait déjà commencé des reformes.

Avec l’aide du comité de suivi des recommandations des états généraux qui sera mis en place et le cadre stratégique que j’ai proposé aux journalistes, (dans mon discours de clôture), il y aura une concertation permanente, des rencontres régulières entre les journalistes de tous secteurs et de toutes catégories, et le ministère.

Ce qui nous permettra, étape par étape, de voir comment nous pouvons planifier la mise en œuvre des différents points issus des recommandations.

Q : Quand est-ce que le comité de suivi de ces états généraux, sera mis en place ?

R : Soyez patients, les états généraux viennent juste de prendre fin. La composition de ce comité sera rendue publique. Le mode de désignation — un arrêté ou un décret — sera aussi rendu public. Et le rapport de ces états généraux, une fois finalisé par les différentes commissions, sera également publié.

Q : L’autre préoccupation des médias privés, c’est l’aide de l’Etat qu’il faudra revoir à la hausse. Penchez-vous déjà sur ce dossier ?

R : La réflexion est globale. La ministre chargée de la communication est en quelque sorte l’avocate ou la porte-parole des journalistes. Donc, tout ce que je pourrai faire pour accompagner les plaidoyers qui vont dans le sens d’améliorer cette aide en vue d’une amélioration des conditions de travail des journalistes, je le ferai.

Q : Le PPT avait menacé en disant : «On ira à ces états généraux et on reviendra avec les mêmes problèmes». Pouvons-nous êtes sûr que le défi sera relevé ?

R : Il y avait beaucoup de scepticisme quant à la tenue même de ces états généraux. L’organisation de ces assises était un pari, et nous l’avons tenu. Je pense qu’il n’y a pas à être septique et qu’il faut être responsable. Moi, je ne suis pas allée aux états généraux pour mettre les recommandations dans les tiroirs. Sinon, on aura perdu notre temps.

Nous avions autre chose à faire que d’aller perdre, et de l’argent (parce que ces assises ont coûté très cher) et le temps à ces états généraux. Si les acteurs du monde médiatique veulent réellement que nous marquions un nouveau départ pour la presse togolaise, nous pouvons le faire, et je vous ai proposé un cadre de concertation.

Nous devons travailler en synergie pour que les recommandations de ces états généraux se concrétisent. Certaines recommandations pourront aller vite (peut-être privilégiées ou elles demandent moins de mobilisation de moyens), d’autres à moyen et à long terme. Nous allons planifier les actions. Moi, j’aime les défis et avec vous, je compte les relever.

Q : Nous avons constaté que certaines recommandations formulées lors des assises, n’ont pas été prises en compte dans le rapport. Seront-elles prises en compte par la suite par le ministère lors des différents travaux ?

R :

Il y a eu des débats libres dans les commissions et le ministère était resté en dehors de ces discussions. Et de façon collégiale, les gens ont jugé de ce qui était pertinent.

Ils ont adopté ce qui leur semblait pertinent. Moi, je pense que la liste des recommandations — aussi longue soit-elle — n’est pas exhaustive.

C’est pour cela qu’il faut d’autres cadres où nous pourrons continuer ce dialogue. Nous allons initier des rencontres régulières, et s’il y a des points (susceptibles d’aider la presse togolaise à mieux se développer, à être plus professionnelle) qui ne sont pas pris en compte dans le rapport, nous trouverons le moyen pour les prendre en compte.

Q : Alors, à quand le premier rendez-vous ?

R : Vous aurez l’invitation très rapidement. Dans les prochains jours, il y aura une première rencontre pour faire le point de ce qu’on a vécu. Et c’est au cours de cette rencontre que nous allons définir ensemble la fréquence de nos rendez-vous.

Q : Votre mot de fin ?

R : Encore un grand merci à tous les acteurs des médias qui m’ont fait confiance et qui ont compris que nous avons intérêt à travailler ensemble dans un climat apaisé, dans un climat de confiance réciproque avec un sens de responsabilité poussé et un sens de patriotisme.

Car, le métier que vous exercez n’est pas un métier comme n’importe quel autre métier : la responsabilité sociale est lourde et le journaliste doit être conscient de cela.

Et je voudrais vous rassurer que le gouvernement — à commencer par le chef de l’Etat — à travers le ministère de la communication, mettra tout en œuvre (j’insiste sur ça) pour accompagner la presse togolaise dans ce processus de professionnalisation pour que la presse togolaise se porte mieux et pour que la nation togolaise se porte aussi mieux. FIN

Propos recueillis par Ambroisine MEMEDE

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