Erosion cotière, une menace pour l’écosystème en Afrique de l’ouest

Après l’échec du sommet consacré au changement climatique de Cancun, au Mexique, en 2010, les différents acteurs vont se rencontrer à Paris en décembre 2015 pour évaluer le chemin parcouru. A l’instar des organisations de protection de l’environnement, les populations riveraines des Etats côtiers du Golfe de Guinée attendent beaucoup de ses assises pour lutter contre l’érosion côtière, l’une des conséquences du changement climatique.

Aujourd’hui, le changement climatique brise le parfait amour qui a toujours prévalu entre les hommes et dame nature pendant des milliers d’années. Désormais, la terre s’effrite que ce soit au pôle nord comme au sud. L’une de ces conséquences du changement climatique est l’érosion côtière qui dévisage les plages dont les sables fins attiraient, autrefois, les touristes.

En effet, l’érosion côtière touche plus particulièrement 11 pays en Afrique : l’Afrique du sud, la Côte d’Ivoire, la Gambie, le Ghana, le Kenya, le Liberia, le Niger, le Nigeria, le Sénégal, Togo, et le Bénin. L’avancée exponentielle de l’érosion côtière cause la disparition accélérée des écosystèmes et habitats tels que les récifs côtiers, les mangroves.

En Afrique de l’Ouest, le phénomène a pris une proportion alarmante forçant les populations riveraines à abandonner leurs habitations depuis quelques années. Selon les experts, l’érosion côtière sévit sur une distance comprise entre les dunes Orange de la Mauritanie jusqu’aux forêts tropicales du Cameroun. Une vue panoramique de la côte du golfe de Guinée en Afrique occidentale décrit bien l’avancée exponentielle de ce phénomène.

Aujourd’hui, la mer engloutit par endroit entre 6 et 10 mètres du littoral togolais. Cette triste réalité est plus criarde à Aného, une localité située à environ 45 kilomètres de la capitale, où l’érosion côtière a contraint les populations riveraines à abandonner leurs habitations.

Selon Pr. Blim Adoté Blivi, Directeur du Centre de gestion intégrée du littoral et de l’environnement (CGILE) de l’Université de Lomé, et Directeur du Centre national de données océanographiques, cette situation est due au tarissement des roches sédimentaires et également à l’avancée de la mer.

«La situation de l’érosion côtière que connait notre pays est due au tarissement des roches sédimentaires. Les populations aussi en sont pour quelque chose car ils ramassent du sable sur les plages pour les grands travaux de construction de logement dans certaines localités. Il vous suffit d’aller à Avepozo vous verrez cette triste réalité», a expliqué Pr. Blivi.

Les autorités togolaises ne cessent de multiplier les actions visant à ralentir les conséquences néfastes de l’érosion côtière sur le littoral.

La réalité reste la même partout dans les pays côtiers du Golfe de Guinée. A Kétà, une localité située à l’ouest du Ghana, la désolation se lie sur la face de certains riverains obligés d’abandonner leurs habitations devant la furie dévastatrice des vagues de la mer.

Le Fort Prinzeinstein, un vestige de l’esclavage construit au 18e siècle à Kéta, autrefois, considéré comme un site touristique par excellence illustre bien la gravité du phénomène de l’érosion côtière sur le littoral ghanéen.
En effet, certains compartiments de ce majestueux édifice ont été engloutis par la mer.

«Ce Fort se trouvait entourer de concessions et de cocoteraies aux premières heures de l’indépendance, mais l’érosion côtière a atteint les concessions qui se sont effondrées sous la fureur des vagues. Aujourd’hui, vous remarquerez, par vous-même, qu’une bonne partie de ce vestige historique a été emportée par la mer. Du coup, c’est le tourisme qui en souffre. J’espère que les actions qui sont menées vont permettre de protéger à long terme le reste de la plage», a expliqué M.Tetteh Kitissou, un guide touristique.

Selon certains experts ghanéens, l’accélération du phénomène est due au tarissement des sédiments survenue après la construction du Barrage d’Akossombo.

«La construction du barrage d’Akossombo est l’une des causes du tarissement des sédiments qui charrient par le fleuve Volta jusqu’à son embouchure. Les sédiments consolidaient les digues naturelles appelées barres qui protégeaient le littoral contre l’érosion côtière. Les barres n’ayant plus de sédiments, elles se sont affaiblies et ont favorisé l’avancée de la mer», a souligné M. John Afriyie, un océanographe ghanéen.

Aujourd’hui, le gouvernement ghanéen continu par déployer d’importants moyens financiers pour la mise en place des épis et digues pour servir de barrière artificielle contre le phénomène. Le Benin fait également partie de la liste des pays en proie à l’érosion côtière qui dévaste les belles plages en Afrique de l’Ouest.

En effet, l’érosion côtière engloutit environ 12 à 15 mètres du littoral béninois chaque année et sévit sur environ 125 kilomètres. Le phénomène a atteint une allure beaucoup plus inquiétante à Agoué, une localité située sur la côte à l’ouest du pays, où la mer continue d’avancer à grands pas dévastant ainsi les habitations des populations riveraines.

Cette situation est similaire dans la plupart des grandes villes situées le long du littoral du Golfe de Guinée.

De Saint Louis et l’Ile de Gorée au Sénégal en passant par Banjul en Gambie, Lagos et Calabar au Nigeria , Monrovia au Liberia , Nouakchott en Mauritanie et le bassin du Grand Bassam en Côte d’Ivoire, la réalité des populations demeure la même.

Les conséquences sur le vécu quotidien des populations : abandon des activités économiques et difficile accès à l’eau potable.

Au Togo, ce phénomène se traduit par la perte des dizaines d’hectares de la superficie du littoral (en moyenne 16 ha l’an), l’engloutissement des habitations des communautés riveraines et le déplacement des populations victimes. Le dernier événement important survenu en août 2012, a fait déplacer quinze ménages de Doèvi Kopé et Agbavi.

«Nous étions obligés de quitter nos habitations pour fuir devant les vagues en furie qui ont aussi pris d’assaut nos jardins situés sur le littoral. Hormis la perte de nos habitations, nous ne pouvons plus exercer nos activités rémunératrices telles que le maraîchage», a expliqué un habitant de Messancondji, une localité qui subit aussi les rafles de l’érosion côtière au Togo.

Ces soucis sont partagés par Alain Lawson, un jardinier qui a jeté l’éponge quelques années plus tôt face à l’avancée de la mer : «Nous avions notre jardin près de la berge. Donc, nous étions les premiers à être contaminés par l’eau de mer qui a infiltré nos puits. Je produisais spécialement du chou et de l’oignon. En 2014, nous étions obligés d’abandonner à cause de l’eau de mer qui n’est pas propice au maraîchage», a-t-il témoigné.

Le phénomène risquerait d’enclaver les localités de la zone puisque le corridor Abidjan-Lagos se trouve aussi menacé.

«Si notre quartier est englouti, la mer finira par couper en deux la route internationale Lomé-Cotonou. Si rien n’est fait pour endiguer son avancée, c’est toute la ville d’Aného qui disparaitra à partir de Messancondji», averti le Chef Améganvi qui a aussi averti contre la contamination des eaux de puits par la mer.

En effet, l’eau de mer a aussi infiltré la nappe phréatique et les réserves d’eau souterraine dans la zone. Les populations manquent cruellement d’eau douce dans leurs puits pour leurs besoins vitaux.

«Les enfants souffrent de certaines maladies diarrhéiques à cause de nos puits qui sont contaminés par l’eau de mer. Je dépense 200 fcfa par jour pour se procurer en eau potable», a expliqué Madame Chimène Aduayom, une commerçante rencontrée à Aného qui envisage de déménager.

L’eau polluée est la principale cause de maladies et de mortalité à travers le monde. Selon l’OMS, environ 4 millions d’enfants meurent chaque année de la diarrhée causée par l’infection hydrique. La forte concentration des nitrates dans les eaux souterraines, principales sources d’eaux de distribution, constitue un risque sanitaire majeur.

Pour les experts togolais, la réalité de ces populations riveraines ne va pas changer de si tôt à cause de fortes pressions marines qui mettront à rudes épreuves les côtes de la ville d’Aného dans les années à venir.

«La salinisation des terres, des eaux souterraines et de surface, associée au phénomène d’ensablement de la rive de la lagune et les nouvelles embouchures de la mer sont des signes tangibles de vulnérabilité de la ville d’Aného. Elle sera soumise à de fortes pressions marines», a indiqué le Pr. Blim Adoté Blivi, Directeur du Centre de gestion intégrée du littoral et de l’environnement (CGILE) de l’Université de Lomé, et Directeur du Centre national de données océanographiques.

Dans ses études sur la «Vulnérabilité de la côte togolaise à l’élévation du niveau marin : Une analyse de prévision et d’impact», le Géomorphologue togolais annonçait que la hausse du niveau marin le long des côtes du Golfe du Guinée pourrait atteindre 30 cm en l’an 2030, 1930 étant considérée comme l’année de référence.

Le scénario climatique par rapport à l’émission de gaz à effet de serre, prévoit une constante augmentation de la température. De 0,1°C en 2000, elle passera à 0,4°C en 2020 puis 0,5°C en moyenne en l’an 2030. Estimée à 1,7 cm en 2000, l’augmentation du niveau marin atteindra 7,5 cm en 2020 puis 11 cm en moyenne en 2030.

La lutte contre l’érosion côtière prend une allure régionale

Aujourd’hui, les voix s’élèvent pour faire face à cette situation catastrophique qui sévit le long du littoral du Golfe du Guinée afin de redonner espoir aux populations riveraines.

La mise en place du Programme Régional de Conservation de la Zone Côtière et Marine en Afrique de l’Ouest (PRCM) illustre bien cette prise de conscience de la part des politiques.

Le PRCM s’implique depuis sa création dans les aspects financiers et techniques de la lutte contre le phénomène de l’érosion côtière en Afrique de l’Ouest. Au cours de la première conférence africaine sur l’érosion côtière tenue les 18 et 19 mai 2009 à Dakar, les experts se sont penchés sur la problématique de l’érosion côtière en Afrique de l’Ouest.

Ils ont salué la prise de conscience des dirigeants africains concernant le phénomène qui sape les efforts de développement dans les différents pays affectés.

Au cours de cette rencontre, les experts de la sous région ont apprécié les différentes initiatives prises pour lutter contre l’érosion côtière à l’instar du Plan d’Action de l’Initiative Environnementale du NEPAD (PAIEN), le Plan d’Action Sous Régional pour l’Environnement du NEPAD/ Afrique de l’Ouest (PASRAO) et le Document de la Politique Commune d’Amélioration de l’Environnement de l’UEMOA.

En outre, le Grand Projet Ecosystème Marin du Courant des Canaries (GPEMCC) impliquant le Maroc, la Mauritanie, le Sénégal, Le Cap Vert, la Gambie, la Guinée Bissau et la République de la Guinée est exécuté par la FAO.

Le développement durable rime avec la conservation et l’utilisation durable des ressources marines et côtières. Les organisations internationales des Nations Unies à l’instar du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) et l’ONUDI se sont associées à cette lutte contre l’érosion côtière.

En effet, l’ONUDI pilote l’exécution du Projet Lutte contre la Diminution des Ressources Biologiques et la Dégradation de la Zone Côtière dans le Grand Ecosystème Marin de la Guinée (Afrique de l’Ouest et du Centre) pour un coût total estimé à 20,8 millions de dollars US et mise en œuvre par le PNUD et PNUE.

En tout, 16 pays africains bénéficient de ce projet qui va permettre de restaurer les habitats dégradés, réduire la pollution provenant de la terre et des navires et enfin mettre sur pied une commission intérimaire du Courant Marin de la Guinée qui sera, plus tard, transformée en une commission permanente.

Les organisations sous régionales à l’instar de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) ne sont pas du reste. En effet, le Programme sous Régional de la Lutte contre l’Erosion Côtière de l’UEMOA a été validé par plusieurs pays situés dans les endroits à risques dans le Golfe de Guinée.

Selon les experts environnementaux de l’espace UEMOA, ce projet estimé à environ 87 milliards de fcfa vise à atténuer les conséquences environnementales, économiques, culturelles et sociales du phénomène de la dégradation côtière.

La mobilisation au niveau des Etats de l’Afrique de l’ouest

Au niveau des Etats, l’heure est également à la mobilisation et aux actions concrètes visant à atténuer les effets néfastes de l’érosion côtière sur le littoral des différents pays en Afrique de l’Ouest.

Dans cette perspective, la Gambie et le Sénégal ont lancé un appel aux partenaires afin de réaliser des études pouvant permettre d’endiguer les menaces qui pèsent sur leurs capitales respectives et également le site touristique de l’Ile de Gorée.

De son côté, le Togo a réalisé des études des zones à risques afin de démarrer des travaux de construction des ouvrages de protection de son littoral.

Depuis 2010, le gouvernent a dans le cadre du Programme National d’Investissements pour l’Environnement et les Ressources Naturelles (PNIERN) réalisé des ouvrages de protection du littoral d’Aného qui sont réceptionnés le 25 avril 2014 par le Président de la République Faure Gnasssingbé.

D’un coût global de 3 milliards de F CFA environ, le projet a permis la réfection des berges de l’embouchure du Lac-Togo ainsi que la stabilisation du littoral entre Aného et Goumou Kopé à 47km de Lomé. Même son de cloche au Ghana où le pays a bénéficié d’ un prêt d’EXIM Banque pour la construction d’une barrière artificielle constituée d’épis et de digues afin de protéger ce qui reste encore de la beauté du littoral à Keta et dans certaines localités riveraines à l’instar de Cape Coast.

Au Bénin, le démarrage des travaux de construction de remparts à Safiato a redonné espoir aux populations riveraines. Cependant, certains experts pensent que tous ces ouvrages en construction ne sauront ralentir l’avancée de l’érosion côtière si les différents acteurs n’opèrent pas un changement de mentalité dans la gestion des projets.

Pour leur part, les riverains déplorent souvent la lenteur observée dans l’exécution des travaux malgré l’effectivité des financements. Aujourd’hui, les Etats sont appelés à jouer leur partition dans l’exécution des différents projets afin de doter les générations futures d’une habitation saine et protégée.

Cependant, les experts estiment qu’il faudra mettre en place un mécanisme de suivi-évaluation de tous les ouvrages afin de juger de leur viabilité.

A cet effet, le Haut Conseil pour la mer lors de sa réunion annuelle, tenue à Lomé, le 18 septembre 2015, au Palais de la Présidence de la République a mis sur pied une commission conduite par le ministère de l’enseignement supérieur et le ministère de l’environnement du Togo pour évaluer sans délai l’efficacité de la technologie utilisée actuellement contre l’érosion côtière. Ladite commission fera des recommandations au gouvernement pour la suite des travaux de protection du littoral togolais.

Le volet humanitaire des conséquences de l’érosion côtière

L’érosion côtière a contraint certains riverains à quitter leurs habitations pour se retrouver dans des abris de fortune contre leur droit au logement dans les différents pays affectés.

Désormais, les experts appellent les gouvernements de la sous région à mettre en place un fonds spécial afin de porter une assistance humanitaire aux déplacés contraints par les conséquences néfastes du changement climatique à l’instar de l’érosion côtière à quitter leurs habitations.

Pour M. Daniel Eklou, le Directeur du département humanitaire et social de la CEDEAO, on accorde peu d’attention aux implications sociales et aux droits de l’homme quand à ce qui concerne les phénomènes liés au changement climatique dont l’érosion côtière.

«L’Afrique de l’Ouest est l’une des régions du monde où les populations sont particulièrement vulnérables aux différents risques climatiques générés par les modifications de la température, de la pluviométrie. Aujourd’hui, on assiste à des phénomènes tels que les tempêtes, les inondations, la sécheresse et l’érosion côtière qui ont des effets négatifs sur la santé et la sécurité humaine», a expliqué M. Eklou.

Pour l’instant, le pire semble être évité avec moins de perte en vie humaine lié à l’érosion côtière comme ce fut le cas lors des inondations dans certains pays en Afrique de l’Ouest.

Toutefois, des mesures importantes sont attendues lors de la prochaine rencontre de Paris en décembre 2015 afin d’atténuer les impacts du changement climatique au large des côtes du Golfe de Guinée.

Mais les experts sont unanimes que si les différents projets nationaux et régionaux ne sont pas exécutés avec acuité, les pays du Golfe de Guinée ne seront pas épargnés par les cyclones violents qui font déjà rage dans le pacifique.

Aujourd’hui, il est primordial que des études environnementales soient réalisées avant l’exécution des projets de construction des infrastructures maritimes tels que les quais et les marinas pour ne pas toujours rester à la merci de dame nature qui est exacerbée par sa surexploitation.

Ekoué BLAME