Amévi Dabla : « Nous devons comprendre que notre société doit se construire sur deux sexes d’égales valeurs dont seul l’ensemble nous permettra d’avancer »

La proportion des femmes journalistes dans le secteur de l’audiovisuel au Togo est très faible. Le sujet est débattu lors des séminaires, formations et colloques. Un colloque tenu du 29 au 30 novembre à Saly (environ 60 km de Dakar) en marge du Sommet de la Francophonie est également revenu sur la thématique avec un sous-thème centré le Togo et intitulé: « Les performances féminines dans l’audiovisuel au Togo ».

Pour mieux cerner le sujet, l’Agence « Savoir News » a approché M.Amévi Dabla, consultant en communication, qui a également pris part à ce Colloque.

Savoir News : Quelle idée générale pouvons-nous tirer de ce sous-thème (« Les performances féminines dans l’audiovisuel au Togo »)?

Amévi Dabla : Comme idée générale, il y a à retenir de ce sous-thème le souci de faire un état des lieux de la participation des femmes professionnelles des médias particulièrement dans le secteur de l’audiovisuel au Togo. A cet effet une enquête a été menée du 11 juin au 28 juillet 2013 auprès de 79 personnes. La restitution de cette enquête était au cœur d’un atelier de renforcement des capacités des professionnels des médias sur les indicateurs d’égalité de genre organisé dans le cadre des 40 ans de la TVT en septembre 2013. Cette initiative a reçu l’aval de l’Unesco par le biais de l’Union Africaine de Radiodiffusion (UAR) pour la réalisation du projet « Indicateurs d’Egalité des Genres dans les Médias (GSIM) ».

C’est au sortir de cet atelier que nous avons senti le besoin de poser un regard sur les performances des femmes des médias en général et celles exerçant dans l’audiovisuel en particulier.

Q : Quelles sont aujourd’hui les performances féminines dans l’audiovisuel au Togo ? Est-ce la même tendance au niveau de la presse écrite ?

R : En jetant un regard rapide sur le domaine de la communication, on note la présence de femmes à certains postes de responsabilité : le ministère en charge de la Communication, l’Agence Togolaise de Presse (ATOP), TV2, Radio Nostalgie et l’Institut des Sciences de l’Information, de la Communication et des Arts (ISICA). Nos recherches nous ont permis de nous focaliser sur la TVT, la chaîne nationale où travaillent à l’époque de l’enquête, 316 agents dont 72 femmes seulement contre 244 hommes.

Ce qui représente 23% de femmes pour 77% d’hommes. La plupart d’entre elles sont formées sur le tas et sont majoritairement affectées à des postes d’exécutantes (secrétaires, monteuses, camerawomen). L’amer constat fait est qu’elles sont souvent des femmes au foyer avant de travailler dans les médias. Elles vivent la dure réalité qui réglemente l’administration des médias, notamment le travail à des tardives, sans sommeil, sans une couchette digne, sans toilettes séparées pour femme, à la merci du harcèlement sexuel et des brimades, etc.

A l’analyse de la situation à la TVT, on note qu’aucune femme n’est chef de division. Les seules qui ont percé sont : Chef de section Administrative et du personnel, Chef section Comptabilité matière, Chef section Archivage numérique. Malgré cet environnement de travail parfois hostile, des femmes ont percé. Nous avons été surpris par les récentes performances des femmes professionnelles des médias qui se sont illustrées lors d’un concours pour récompenser les professionnels des médias.

Le 11 janvier 2014, lors de la 5e édition de la « Nuit des communicateurs » organisée par l’Agence de Communication « Le 228 », deux journalistes femmes de la TVT ont émergé en raison de leur prestation à l’écran: Mlles Anita Atigaku et Lys Djamié de la Télévision Togolaise (TVT) qui ont ravi les trophées de « Meilleur journaliste présentateur télé » et celui de « Meilleur animateur télé ».

Le 19 mars 2014, le prix du concours de la meilleure production TV et le prix de la meilleure production radio lancés en novembre 2013 par le ministère de la planification dans le cadre du concours des meilleures œuvres journalistiques sur la Stratégie de croissance accélérée et de promotion de l’emploi (SCAPE), ont été enlevés par Mmes Kate Nubukpo (TVT) et Alice Berthe Barandao (Radio Lomé). Nous nous sommes alors interrogés. Les journalistes hommes ont-ils minimisé la portée de ces concours qui permettent l’émulation mais aussi de jauger la capacité de la maîtrise des genres rédactionnels?

Les journalistes hommes ont-ils peur de se faire humilier par les femmes? En tout cas, ces performances féminines sont à saluer malgré des contre-performances qui sont le revers de la médaille : la victimisation, le droit de cuissage et le harcèlement sexuel. Il faut reconnaître que cette situation n’est pas propre au Togo, mais à bien d’autres rédactions à travers le monde.
Concernant les postes de responsabilités dans le secteur privé, la situation n’est guère reluisante. Quelques rares professionnelles occupent ces postes.

C’est le cas de Mmes Ambroisine Mêmèdé (Directrice de l’Agence Savoir News), Patricia Adjissekou (Rédactrice en chef à Kanal Fm), Aimée Essozolam Atana (Directrice de Radio Azur à Anié), Yakè Tommotoki Appolline (Directrice de Radio Etincelle de Blitta).

Q : Selon vous, pourquoi la faible représentativité féminine dans notre corporation?

R : Cela est dû au fait que lorsqu’on a besoin d’un expert sur un sujet, les journaux, radios ou chaînes de télévision sont moins susceptibles de faire appel à une femme. Pourquoi ? Certainement parce que les hommes leur ont toujours attribué les seconds rôles. Peut-être cela se fait inconsciemment.

Alors là, il faut sensibiliser tout un chacun pour que les choses changent. Le Togo dispose depuis janvier 2011 d’une politique nationale pour l’équité et l’égalité de genre. C’est le fruit d’une réelle volonté de faire de la promotion des femmes une priorité de développement. Sa mise en œuvre doit donc profiter aux femmes des médias

Q : Quels conseils pour ces femmes qui sont actuellement dans le métier ?

R : Nous ne pouvons qu’encourager les femmes à ne pas baisser les bras. On les voit déjà bouger à la tête de l’Union des Journalistes Indépendants du Togo (UJIT), de l’Observatoire Togolais pour l’Image des Femmes des Médias (OTIFEM) et de l’Association des Professionnelles Africaines de la Communication(APAC) section-Togo.

C’est en faisant entendre leurs voix que pourraient se créer des chaînes de solidarité pour les soutenir. Toutefois, il y a encore du chemin à faire. Comme quoi, «aussi longtemps que les lions n’auront pas leur historien, les récits de chasse tourneront toujours à la gloire du chasseur», dit un proverbe africain.
Nous devons comprendre que notre société doit se construire sur deux sexes d’égales valeurs dont seul l’ensemble nous permettra d’avancer. FIN

Propos recueillis par Ambroisine MEMEDE

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